Le dossier 17 de construirelabretagne.bzh nous guide au cœur du tourisme en Bretagne. Ce secteur économique en pleine expansion dans le monde suscite parfois une précipitation qui prépare mal l’avenir. Si le tourisme est pour la Bretagne un bienfait, toutes ses formes ne se valent pas.
Des zones entières se sont vues colonisées par les maisons secondaires ou par des projets de balnéarisation qui participent d’une uniformisation mondiale. Cultivons notre authenticité. Notre singularité est notre chance. Valorisons l’arrière-pays, l’extraordinaire diversité de notre offre et son potentiel de dessaisonalisation, l’accueil chez les « greeters », ces habitants transmetteurs de découverte culturelle… Mais surtout, en dépit des orientations de la loi NOTRe sur le tourisme, la Région devra poursuivre son effort de fédération des Comités de tous poils qui diluent aujourd’hui les énergies et nuisent à la lisibilité de l’offre touristique bretonne. Lourde tâche !
Dossier 17. Une économie touristique
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Dossier 17. Une économie touristique
L’activité touristique représente aux environs de 7 % du PIB breton. C’est à la fois beaucoup (elle est la quatrième région française concernée) et à relativiser (93 % des richesses créées sont extérieures à cette activité). Cette ambivalence est aujourd’hui de moins en moins perçue par certains décideurs qui voient ce secteur d’activité –il est vrai en pleine croissance- comme une manne, sinon une corne d’abondance. L’analyse est en réalité plus compliquée car il existe de multiples formes de tourisme. Certaines activités sont sans conteste vertueuses et suscitent des retombées évidentes dans les territoires (captures de revenus externes, chiffres d’affaires confortés pour les professionnels du secteur, notoriété renforcée de la région etc.). Toutefois, d’autres pratiques sont beaucoup plus ambivalentes. La monoactivité touristique a mené à la désertification des îles bretonnes et certains lieux peuvent être totalement déstabilisés par une occupation estivale frénétique. Des paysages et des économies locales et permanentes ont été balayés de façon irréversible par des occupations ponctuelles dont les effets sont parfois ambivalents. On sait aujourd’hui scientifiquement que la fréquentation touristique n’est utile que si elle est « digérée » par les populations permanentes. Comment la Bretagne peut-elle renforcer son attractivité en profitant à plein de cette activité en essor ?
Diagnostic
Le tourisme est le secteur d’activité qui progresse le plus dans le monde. On compte plus d’un milliard de touristes par an, c’est-à-dire de « personnes passant plus d’une journée à l’extérieur de leur domicile pour des raisons autres que professionnelles ». Avec son image, son identité, ses offres festives et culturelles plurielles, ses paysages, son patrimoine exceptionnel, la Bretagne est placée en pôle-position sur le sujet, derrière l’incontournable Paris devançant les Régions Provence Alpes Côtes d’Azur et Languedoc Roussillon. Ce classement est d’autant plus remarquable que la France est le pays le plus fréquenté de la planète. On l’oublie parfois mais la Bretagne est une des premières destinations touristiques au monde avec 9 millions de visiteurs en Bretagne administrée et 3 millions de plus en Loire-Atlantique qui construit sa promotion autour de l’appellation Bretagne. Des acteurs préconisent alors des actions précipitées pour capter au plus vite cet « or bleu ». Le vivier est inépuisable. Il suffit d’accueillir. Les visiteurs dépensent et remplissent ainsi le portefeuille régional. Face à ce stéréotype, il faut toutefois souligner comment le tourisme a bouleversé différents territoires. On a beaucoup parlé de « bénordisation » ou de « balnéarisation ». Sur une large part de la côte méditerranéenne, des paysages fabuleux ont été irrémédiablement détruits pour laisser place à des bâtiments insipides et des paysages standardisés. A l’échelle planétaire, le concept de marina (le sempiternel port de plaisance, des bâtiments uniformes…) a entraîné une solution clé en main créant des paysages standardisés. Observez dans le monde une centaine de photos de ces réalisations (clubs touristiques, etc.). Vous constaterez rapidement qu’on ne sait plus où l’on est avec une forme de copier-coller effrayant niant l’identité et la réalité des lieux. La Bretagne, loin d’être épargnée, a pour lors davantage échappé à ces réalisations standardisées (sauf au Crouesty et dans quelques autres endroits). De même, si vous regardez un simple présentoir de cartes postales, une patte paysagère bretonne reste visible. Cette singularité est la chance du pays. A une époque où l’on assiste à une fantastique banalisation des paysages planétaires, comment abattre cet atout pour que le tourisme –loin d’être déstabilisateur de l’écosystème régional- soit à la fois renforcé et digéré au bénéfice de l’ensemble de la population ?
Quel programme ?
Fertiliser la manne touristique conduit à appliquer des solutions qui ont ailleurs fait leurs preuves. Elle mène surtout en Bretagne à proposer une offre atypique, sinon insolite, écrite en correspondance avec les réalités du pays. Six actions concrètes peuvent être alors engagées.
- Tout d’abord, il existe certaines recettes qui ailleurs ont fait leurs preuves pour limiter les impacts territoriaux d’une monoactivité touristique. La première est d’étendre dans l’espace et le temps les visites. En Bretagne, 90 % environ de la fréquentation s’opère sur les côtes, essentiellement l’été, et les campagnes de promotion privilégient très souvent l’armor en oubliant l’intérieur des terres. Communiquer davantage sur les richesses de l’argoat (paysages, patrimoine…) permettrait de rééquilibrer la fréquentation. Il faut surtout mettre en avant les commodités de cette localisation. Par exemple, plutôt que d’être en situation de cul-de-sac à Camaret, une location à Châteaulin permet en empruntant des routes variées et pour un coût moindre de rayonner sur l’ensemble du Finistère. Un réseau touristique des villes bretonnes de rayonnement devrait être lancé pour valoriser ces cités localisées quelque peu dans l’arrière-pays mais qui sont des têtes de pont offrant un éventail parfois extraordinaire de destination (Pont-l’Abbé, Landerneau, La Roche-Derrien, Herbignac, Guingamp, …).
Dans le temps, si les aléas du climat rendent l’opération difficile, on peut valoriser différents évènements (les grandes marées, certains festivals comme les Transmusicales, des marchés de Noël…) pour étaler quelque peu les visites. Mais il faudrait renforcer l’offre puisque la Bretagne vit évidemment toute l’année en promouvant les nombreux événements existants ayant lieu lors de la pseudo morte-saison (les salons du livre, les multiples expositions, des départs de courses à la voile, des fêtes de fin d’année comme celle du chapon à Rennes, etc.). Il est possible d’étendre la saison (mai-juin, septembre) voire de décliner quelques offres nouvelles pour équilibrer la fréquentation (« la Bretagne en automne », des week-ends « bien-être », « sports », « santé » ou « toniques » en lien avec la forte présence des « thalasso », des offres de dernière minute « Bretagne tempête », etc. - Parallèlement, la promotion des territoires passe davantage par des logiques d’accueil chez l’habitant ou les hôteliers que par la construction de résidences secondaires. Cette réalité a par exemple été démontrée aux Baléares et a freiné une construction qui était anarchique. Une prise de conscience doit s’opérer en Bretagne. En effet, le modèle régional d’hébergement a longtemps été d’offrir aux touristes « une seconde maison » et ce choix a suscité l’artificialisation excessive des terres, une pléthore de lotissements informes polluant les paysages et le plus souvent inoccupés. Rompre avec cette vision conduit à produire une offre originale en se calant sur les nouveaux usages (le couchsurfing, les chambres d’hôtes ou d’accueil, les gîtes, le logement chez l’habitant, les échanges de maisons, etc.). Il est démontré que ces pratiques apportent plus de bénéfices économiques que la construction de résidences offrant de manière très temporaire un marché aux entreprises du bâtiment. On constate de surcroît que ce marché des « résidences secondaires » peine de plus en plus à trouver preneur en raison des contraintes économiques et surtout car les pratiques changent. Le tourisme devient de plus en plus imprévisible, de dernière minute, itinérant, et il n’est pas sûr que la génération suivante souscrive au modèle en vogue aujourd’hui. On constate que ce sont les communes qui voient leur population permanente décliner qui se sont le plus spécialisées dans ce vieux modèle. Pour de multiples raisons (paysagères, économiques, foncières, sociales…), il semble utile de compléter l’offre habituelle par de nouvelles prestations plus « tendance ».
- Dans ce cadre, au-delà d’un tourisme quelque peu hors-sol (de type certains clubs de vacances où de nombreux touristes vivent à huis-clos), la Bretagne a des atouts pour se positionner sur le marché d’un tourisme de découverte et surtout d’insertion. D’ores et déjà, la plupart des événements associent les locaux aux saisonniers. Pour plus de richesses et de partages, de multiples événements et festivals marient la culture vernaculaire aux échanges internationaux. Ces affirmations, échanges et brassages font déjà la singularité bretonne. Ils pourraient devenir une sorte de marque de fabrique en multipliant les ventes directes, formules souples d’hébergement (campings dans les jardins), en déclenchant une vraie politique pour créer un réseau de « greeters », c’est-à-dire de personnes qui font découvrir les richesses du pays aux visiteurs. La Bretagne est la deuxième région de France pour le nombre de sites inscrits et classés avec un patrimoine exceptionnel souvent peu valorisé, voire ignoré. Les Bretons ont peu conscience de l’histoire et des richesses plurimillénaires de la péninsule. Le cairn de Barnenez est 2000 ans plus vieux que les pyramides et ce trésor architectural, parmi tant d’autres, reste méconnu. En réalité, l’uniformisation à marche accélérée de nombreux paysages et littoraux planétaires est la chance de la Bretagne, à condition précisément de ne pas faire comme les autres, de valoriser l’existant et de jouer la carte d’un tourisme atypique, patrimonial, d’insertion, informel, qui va de plus en plus être couru en raison de sa raréfaction.
- L’affirmation d’une logique de différenciation est donc indispensable. Certes, quelques offres très haut de gamme et éventuellement -mais pas forcément- plus standards sont à coordonner ou compléter pour accueillir des touristes fortunés de pays émergents. La Suisse par exemple a mis en place des circuits de découvertes à destination des Chinois et les retombées économiques sont impressionnantes. En lien avec l’association France-Chine internationale qui est sollicitée par des tour-operators chinois pour la destination bretonne, la Bretagne doit s’organiser pour profiter de ce segment de marché étroit mais très porteur. Le cœur de cible reste toutefois le grand public avec des originalités remarquables à conforter. L’enquête très intéressante menée par le Comité régional du tourisme montrait notamment que « l’authenticité » était l’élément majeur de l’attractivité bretonne. Si le terme est complexe, ce choix invite à abattre cette carte. D’ores-et-déjà, en dehors de quelques stations, la Bretagne reste à l’écart de pratiques « bling-bling ». Elle se singularise par la présence d’un tourisme plus familial, l’absence de plages privées, la présence de multiples événements gratuits ou très peu onéreux, une organisation aussi quelque peu informelle en raison de la pluralité des sites (peu de places de stationnement payantes, des plages souvent aisément accessibles, un patrimoine exceptionnel le plus souvent libre d’accès, des paysages qui restent sauvages et non « cadenassés »…). Certains lieux sont peu aménagés -par exemple entre terre et mer- et c’est tant mieux. Ils se démarquent d’une époque où l’on veut tout orchestrer, segmenter, réguler, limiter (ici le parking forcément goudronné, plus loin la plage…). Des décisions administratives rigides opposant terre et mer, segmentant les territoires, sont totalement inadaptées aux réalités bretonnes en raison de gradients fluctuants, du rythme changeant des marées. On a parfois voulu à l’accès régir, privatiser ou muséifier la Bretagne. Mais des mouvements de rejets se sont heureusement opposés à cette aseptisation (par exemple à Carnac avec l’opposition définitive au projet de « Menhirland ») et d’autres réalisations confortent à l’inverse une forme de générosité territoriale (le projet de la Vallée des Saints, réalisé sans subvention et totalement gratuit ; les multiples fêtes estivales organisées par les bénévoles sans ambition mercantile…). A l’heure d’une marchandisation touristique croissante, cette réalité atypique est essentielle. En liaison avec la multiplicité des sites, une singularité bretonne est aussi la pluralité de l’offre qui évite d’avoir deux ou trois stations ou sites emblématiques totalement saturés. Cette originalité est à conforter.
- Dans sa conception même, le fait touristique doit être perçu en symbiose avec la vie locale, voire destiné à la conforter. Le mouvement breton des Petites Cités de Caractère a été pionnier en Europe pour revitaliser des villes locales (Josselin, Pontrieux, en tout aujourd’hui 22 cités…) grâce à cet apport externe (valorisation de l’architecture et du patrimoine, création d’un artisanat d’art permanent même si les ventes s’effectuent essentiellement l’été, etc.). Mais il faut aller plus loin pour que le tourisme soit un levier pour l’identité régionale et locale. Loin d’être opposés, les deux mouvements peuvent, sous condition, se féconder. Encore faut-il mettre en place des actions à la fois utiles aux Bretons et à ces Bretons de passage (marchés pour écouler la production locale, création d’un média véritablement dédié à la Bretagne évoquant la profusion des manifestations, assurant la promotion de notre culture, de nos artistes, de notre histoire, apport des visiteurs pour bénéficier de leurs cultures, des cours de langues en échange d’une location à prix réduit, etc.). Cette conception impose parfois des choix drastiques : maintien d’une pêche artisanale si symbolique de la Bretagne au lieu de multiplier les ports de plaisance, soutien direct et indirect à une hôtellerie familiale plutôt que d’être formaté par des hébergements standardisés, aide à la valorisation des centres-bourgs et villages touristiques au lieu de créer des espaces et zones d’activités totalement informelles en périphérie… Il est évident sur ce sujet que le Conseil régional, en lien étroit avec l’ensemble des élus locaux, doit ici déployer une stratégie très bretonne pour affirmer une griffe régionale, éviter que l’image « d’authenticité » n’entre en contradiction avec l’évolution des usages et paysages.
- Enfin, et peut-être surtout, la Région fera tout pour résoudre le bazar ambiant. Offices de tourismes communaux et parfois intercommunaux, Conseils départementaux du Tourisme, Destinations touristiques régionales nouvellement proposées, Pays Touristiques ayant évidemment d’autres périmètres, campagnes de promotions variées partant littéralement dans les tous les sens et coûtant très cher. Que l’offre en Bretagne soit plurielle, c’est tant mieux et un atout. C’est précisément sa chance. A l’inverse, des campagnes de promotion sensées « géniales » affichent des codes hétéroclites, notamment à l’échelle des départements, des pays touristiques et de villes parfois petites. Certaines ne sont vues par personne ou sont totalement illisibles, parfois contre-productives et ont un coût délirant. A un moment où la Loire-Atlantique choisissait l’appellation Bretagne pour plus de fréquentation et de bénéfice, on a été jusqu’à assister à un Contrat de collaboration touristique… « Grand Ouest » (sic). Bienvenue dans le Western ! Ils sont où les cowboys ? A un moment, il faut arrêter de faire n’importe quoi. Ces initiatives plurielles seraient risibles si elles n’exprimaient pas la gabegie des dépenses publiques et traduisaient parfois certains égos. Aujourd’hui, on met au défi le visiteur de s’y retrouver avec, malgré les efforts de la Région, une perte en ligne colossale, un manque évident d’efficacité.
Des formes d’Etats Généraux (et surtout pas des « Assises ») seront organisées pour unir les acteurs précisément en valorisant leur diversité, mettre fin à ce désordre contre-productif et que de toute façon l’on ne pourra plus se payer. Un mot nous réunit : Bretagne. C’est évidemment une banderole fédératrice et une seule qui doit apparaître riche de ses mille facettes pour être plus lisible. Des formes d’animations enrichies peuvent transcender des approches cloisonnées, parfois trop administratives et étroites, pour tricoter et mutualiser des offres claires, quitte à remettre en cause ce terme même de « touriste » qui ne veut plus dire grand-chose.
En conclusion, cette activité ne doit pas être envisagée pour « elle-même », comme parée systématiquement de toutes les vertus, mais comme un levier pour l’économie permanente. Cet impératif mène à une politique différenciée, très souvent située à l’écart voire en opposition aux modèles dominants. De multiples « recettes » présentées ailleurs comme fertiles peuvent être des désastres pour l’identité régionale. Plutôt que de se précipiter à tout crin dans l’or bleu en faisant comme les autres, une offre bretonne claire, souple et atypique sera mûrement réfléchie. Elle visera à faire des « visiteurs » des Bretons de passage pour valoriser en simultané leurs éventuelles compétences, l’esprit d’ouverture et les singularités du pays. Autour d’une image limpide, une modalité d’animation élargie permettra d’avoir un spectre d’activités utiles au développement de la Bretagne.
Le Comité de Rédaction
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