L’agglomération de Quimper devenant « Quimper Bretagne Occidentale », celle de Lamballe devenant « Lamballe Terre et Mer », « Beaussais-sur-Mer » pour le regroupement Ploubalay, Trégon et Plessix-Balisson, « Bon-Repos sur Blavet » remplaçant Laniscat-Perret-St-Gelven, la nouvelle commune de « Guerlédan » actée par le Préfet pour Mûr-de-Bretagne et Saint-Guen… Que penser de ces nouveaux noms qui fleurissent en automne ? Que penser de ces recompositions liées à l’essor des « nouvelles communes » ?
Trois points essentiels sont à évoquer. Le premier est que les noms des nouvelles communes posent pour le moins débat et génèrent même de multiples conflits. On l’a vu par exemple à Mûr-de-Bretagne avec des habitants ne souhaitant pas être « débaptisés » et perdre leurs noms ». On l’a constaté aussi à Lamballe où des personnes se sont alarmées du fait que l’on ne prenne pas en compte le nom historique de Penthièvre pour une appellation que certains jugent hors-sol.
Face à ces questions, il faut tout d’abord remarquer que les élus ou les habitants ne sont jamais en manque d’imagination pour inventer de nouveaux noms. Des êtres souhaitent parfois laisser leurs griffes pour de nouveaux royaumes qui disparaissent bien vite dans les oubliettes de l’histoire (la Septimanie de Georges Frêche). D’autres, bien plus nombreux, répondent tout simplement à une obligation institutionnelle exigeant de créer du « grand » (cela marchera mieux, il faut « simplifier » et créer de « nouveaux territoires », etc.). Ils tentent donc au mieux de satisfaire à ces nouvelles obligations, cherchent une appellation tendance, significative, s’accordent au final sur un plus petit dénominateur commun. Parfois, on leur a demandé de se positionner très vite. « On avait deux mois pour trouver un nouveau nom » dit le maire de Plémet en actant que le nom Les Moulins « n’était pas approprié » (Ouest-France du 11 mars 2016). Dans tous les cas, les élus ont accordé de l’importance à ce choix (« de multiples réunions depuis 6 mois » disent les élus de Lamballe (OF, 6/10/2016) et, parfois, plus de 30 réunions ont eu lieu pour le déterminer. Le 30 septembre, le Préfet des Côtes d’Armor a validé le nom de Guerlédan mais selon Pontivy Journal (8 septembre 2016) différents recours sont posés. Ici les habitants ne veulent pas voir disparaître l’appellation Mûr-de-Bretagne (P.-Y. Jan). Plus loin, l’appellation fait contentieux. En effet, il existe trois autres communes riveraines au lac (Perret, Sainte-Brigitte et Saint-Aignan). « De quel droit autorise-t-on deux communes limitrophes à s’approprier ce nom ? » d’autant que Mûr-de-Bretagne n’a que 3 km de rives sur un total de 30, que Saint-Guen « ne borde pas le lac », etc.
Certains individus prétendent que tout ceci n’a aucune importance, qu’il y a autre chose à faire et qu’il existe des sujets bien plus importants (le chômage, etc.). Pour de simples raisons de localisation, le fait aussi qu’on ait noyé l’Alsace dans un « Grand Est » n’empêchera pas non plus les gens de dire qu’ils vivent ou vont en Alsace plutôt qu’en Sibérie ou à Vladivostock. L’atout de cette région est d’être au cœur de l’Europe et elle s’appelle grand Est (de Paris ?). Passons. Suite à la Révolution française, le nom de Bretagne a disparu pendant 150 ans et cela n’a pas empêché les gens de dire qu’ils étaient bretons, qu’ils allaient en Bretagne. A l’inverse, d’autres insistent sur l’importance historique des noms pour susciter d’éventuelles dynamiques territoriales. Ils n’ont pas tort non plus.
Il faut en effet comprendre le rôle historique capital de ces noms ou endonymes (la façon dont un territoire s’appelle). Pour les géographes, le nom d’un territoire est le premier levier du vivre ensemble. A l’inverse, le problème est évidemment qu’il n’en existe pas qu’un. Chacun inscrit sa vie dans différentes enveloppes territoriales. Il a une adresse, est éventuellement dans un quartier ou un hameau, un bien nommé « lieu-dit ». Il vit classiquement dans un pays, un « plou », dans une « commune » que l’on souhaite « nouvelle », une « région », un « Etat ou une « Nation », vit en Europe ou en Asie, est dans le vaste monde… Comment alors qualifier le lieu de vie ? Quelle est la bonne maille ? Ce choix peut être d’autant plus important qu’on finit ponctuellement par appeler les gens selon le territoire dans lequel ils vivent. C’est ce qu’on appelle les gentilés. Parfois, les parallélismes sont évidents (les Bretons pour la Bretagne, les Niçois pour Nice). Parfois aussi on se casse la tête et l’on invente de nouveaux « gentilés » (les Brétilliens pour les habitants de l’Ille-et-Vilaine). Les habitants de la Loire-Atlantique n’ont en 2016 toujours pas de nom. On a aussi décidé d’appeler les habitants du 93 les « Séquano-Dyonisiens » (sic) mais tout le monde s’en moque ou les appellent si besoin autrement. Ils les désignent parfois comme les habitants du « neuf trois ». C’est sans doute moins chic ou tendance, mais c’est ce que les gens disent.
En somme, il faut dissocier les choix institutionnels des usages. Le fait qu’on choisisse de qualifier « Lamballe » par « Lamballe Terre et Mer » ne signifie pas du tout que les habitants vont faire vivre ce nom. Comme il y eut un « PACA » pour Provence Alpes Côtes d’Azur, ce sera peut-être un « LTM ». Ce sera plus sûrement inutilisé, sauf par quelques décideurs, tout simplement car le nom est trop long. A l’inverse, le terme de Mené est déjà employé. Il a été à tort ou à raison choisi pour regrouper les communes de Collinée, Langourla, Plessala, St-Gilles-du-Mené, St-Gouéno, St Jacut-du-Mené. C’est un nom qui a une épaisseur historique, veut dire montagne en breton (même s’il s’écrit différemment) tout simplement car le territoire est topographiquement élevé. Le mot « Mené » a aussi fédéré différentes dynamiques, par exemple autour de Paul Houée. Il a été souvent utilisé et est porteur de projets, a même une capacité fédératrice en lien avec une forte identité. C’est aussi un nom qui a l’avantage d’être court et commode à prononcer.
Ces arguments sont peut-être basiques. Mais le premier atout d’un nouveau nom est tout d’abord d’être commode et de correspondre à quelque chose. D’être finalement « cohérent ». Pendant un temps, la Ferrière et Plémet ont songé à se donner un nouveau nom qui était « Les Moulins ». Pourquoi pas. Sauf que ce nom est déjà employé pour de multiples endroits, y compris pour d’autres villes bien plus connues, des moulins à marée et surtout des moulins à vent, qu’il était totalement illisible, entraînait concrètement une absence totale de repérage possible sur les GPS, etc. Les élus ont donc décidé le 11 mars 2016 de faire marche arrière et ont choisi finalement d’appeler l’ensemble Plémet, ce qui pose la question de la disparition de la Ferrière et doit être de toute façon validé par les différentes instances de l’Etat. Le premier point évident est donc de signaler la difficulté voire la vacuité des appellations trop longues, technocratiques et surtout celle des appellations hors-sol.
Pour ceux qui ne sont jamais à court d’idées nouvelles pour les communes du même nom, le second atout est aussi de souligner que la notoriété d’un nom se bâtit. Elle ne se décrète donc pas en claquant des doigts dans un conseil municipal ou lors d’une réunion intercommunale, plus largement d’élus. Quelle image va renvoyer celui qui parlera des « Hauts-de-France » ? Ne passera-t-il pas pour un pédant s’il évoque par exemple ce nom à un Marseillais ? Il est à parier que les gens continueront à se dire du « Nord », du « Chnord », éventuellement « Chti », de Lille, du Boulonnais, etc. Ce n’est pas parce qu’une technocratie décide d’un nom qu’il est employé. Surtout, il est loin d’être évident de faire table rase du passé. Cela est certes possible. Dans les années 1950, de nombreuses communes françaises se sont donné un nom marketing pour avoir une image maritime (« Etables » devenant en 1949 « Etables-sur-Mer », « Carnac » se dédoublant « Carnac-Plage », les classiques Plonéour-Trez et Brignogan (avant 1936) fusionnant en 2017 dans un … Plonéour-Brignogan-Plages alors que trez en breton veut dire sable ou plage, etc.). Cela est parfois rentré dans les usages, parfois non. Avec Charles Josselin, un des meilleurs exemples d’une réussite reste les « Côtes d’Armor » puisque plus grand monde ne parle aujourd’hui des Côtes-du-Nord. Toutefois, l’usage du mot mer devient aussi systématique (Beaussais-sur-Mer, Lamballe Terre et Mer) et n’est plus très moderne. Concrètement, on ne voit pas très bien non plus où est la plage de Lamballe, même si la mer est bien sûr proche par exemple à Pléneuf-Val André, ou Planguenoual. Cette remarque n’est pas du tout une boutade. Elle est tout simplement une piqûre de rappel pour dire aussi que le territoire est avant tout une aide à la localisation et donc doit être porteur de « sens » … et donc de repérage.
Dans ce cadre, on reste un peu songeur devant des noms tels « Quimper Bretagne occidentale ». Pourquoi occidentale ? Cette précision était-elle nécessaire ? Celui qui est à l’est de Quimper, par exemple à Ergué-Gabéric, se sentira-t-il de Quimper Bretagne « occidentale » ? Peut-être et ce n’est pas à nous de juger des choix effectués par les représentants du peuple. A l’inverse, on constatera que le pays appartient à la Cornouaille, qu’il comporte d’autres noms plus ou moins connus comme le pays Glazik. Que Quimper se dit Kemper en breton et que la compréhension de ce nom oublié (confluent en breton) aurait peut-être servi à limiter les inondations à répétition qui ont été fortement créatrices de coûts. Certes, Kemper est désormais nettement moins connu que Quimper. Ce n’est donc pas à nous de dire quelle doit être la solution. A l’inverse, Quimper a au moins choisi localement une appellation qui nous rassemble. A l’inverse, on constate localement que chacun y va de son joujou en oubliant les autres. Le plus important nous semble ces appellations « tendances » qui sont dangereuses car elles souhaitent surfer sur ce qui est perçu comme étant à la mode (la mer notamment) et peuvent devenir totalement ringardes, précisément car on oublie la singularité du lieu en voulant faire moderne. Y a-t-il aujourd’hui une valeur ajoutée à être la énième commune à rajouter « mer » à un endonyme ? Le mot armor, qui a visiblement marché pour le département, n’était-il pas plus original, différenciant, percutant ? Pour Beaussais, le nom choisi correspond certes à la baie mais aussi à un « château » de style malouinière qui est désormais une demeure 4 étoiles de luxe. Il est aussi une commune d’ores et déjà présente… dans les Deux-Sèvres qui vient en 2013 de fusionner dans ce même département avec une commune qui, par hasard, s’appelle… Vitré ! pour devenir Beaussais-Vitré. L’appellation veut donc faire chic (une baie, un château construit en 1780 par Louis-Gabriel Yongues, seigneur de Beaussais) et correspond peut-être à l’imagerie des nouvelles populations occupant les lieux et ne voulant peut-être pas être des ploucs (Ploubalay), habitant dans des tré (Trégon, du vieux breton treb, la trêve, le bout de paroisse, le village), préférant peut-être être dans des châteaux ; on ne sait pas. On imagine surtout les confusions possibles. On constate qu’on a décidé de lancer un nouveau pavé dans la jungle des noms, en remplacement de Ploubalay, Trégon et Plessix-Balisson, des noms plus ou moins connus mais qui existaient. L’avenir nous dira si ce choix est pertinent. Comme pour le nouveau « Bon-Repos sur Blavet », on constate que l’on décide ici de donner un lieu de territoire en lien avec un monument remarquable (l’abbaye de Bon-Repos de Saint-Gelven), sans doute pour renforcer l’attractivité touristique. Les choix toponymiques du Blavet (le Canal de Nantes à Brest) et surtout de Guerlédan (proposé à la place de Mûr-de-Bretagne) sont de la même veine. A terme, la Bretagne sera-t-elle Bretagne sur plage ? S’il faut une valorisation touristique, ce critère doit-il déterminer le choix des lieux ? Pourquoi « Lamballe Terre et Mer » plutôt que « Lamballe Armor Argoat », « Penthièvre », « Lamballe Bretagne » ?, etc. Globalement, il nous semble que ces choix ont parfois été réalisés avec réflexion, par bon sens puisqu’il en fallait un (le Mené par exemple) mais parfois aussi par des néophytes ou des gens qui veulent bien faire mais n’ont rien compris à la Bretagne. Ils veulent sans doute faire tendance mais n’y connaissent rien, ne veulent sans doute pas la « boboïser » mais le font. Par ignorance. Ils vivent en Bretagne. Ils ne sont pas devenus bretons. Ce n’est pas un reproche. C’est ainsi.
Quimper a choisi la Bretagne. Et si toutes les nouvelles communes -notamment de Loire-Atlantique- avaient choisi Machecoul Bretagne, Beaussais en Bretagne, Mené de Bretagne, Lamballe Bretagne, Vannes Bretagne etc. Quel message ! Par exemple, un Machecoul Bretagne eut été un coup de tonnerre médiatique d’un territoire qui aurait fait parler de lui et peut-être la une des journaux, aurait eu du courage, se serait déterminé, aurait renforcé son attractivité touristique d’autant qu’il est tout au sud de la Loire-Atlantique et la porte d’entrée de la Bretagne par la D.32. Un territoire aujourd’hui perçu comme périphérique serait peut-être devenu central, aurait tenté quelque chose, marqué des points, souligné son originalité. On sait. On rêve. Il s’appellera au final « Machecoul-Saint-Même » et c’est son choix. De façon différente, les six communes actuelles de Loire-Atlantique portant le nom et marqueur Bretagne (Fay-de-Bretagne, La Meilleraye-de-Bretagne, Montoir-de-Bretagne, Sainte-Reine de Bretagne, Le Temple-de-Bretagne, Vigneux-de-Bretagne) seront peut-être aussi absorbées dans des endonymes plus ou moins anonymes, associant leurs noms à d’autres par consensus, faisant ni mieux ni moins bien que les autres. En Ille-et-Vilaine, Maure-de-Bretagne s’est associée au Campel pour devenir le … « Val d’Anast », un nom totalement inconnu par le grand public, même si le mot breton Anast a été trouvé dans le cartulaire de l’Abbaye de Redon de 832. Il est associé à « Val » ( ?) alors qu’aucune rivière ni ruisseau ne porte ce nom qui est, par contre, utilisé localement pour désigner des Landes, un manoir ou un moulin du même nom. Pourquoi pas. Mais ce nom va ramer pour gagner en notoriété et être de quelque part. Actuellement, il est curieux de constater que de nombreuses entreprises optent pour des appellations territorialisées (l’emploi de plus en plus répandu des mots Brocéliande, Bretagne, surtout du mot Breizh, etc.). Pendant ce temps, des élus sont ailleurs peut-être car ils n’ont pas les mêmes clés de lecture.
Au final, construire la Bretagne est là suggérer des choses qui nous unissent au lieu parfois, mais pas toujours, d’initier de nouvelles ruptures d’autant plus tristes que des individus veulent bien faire. Certains sont heureux et fiers de leur trouvaille. D’autres admettent aujourd’hui s’être plantés (les Moulins). A Laniscat, Saint-Gelven et Perret, ce sont les habitants qui ont finalement choisi entre trois propositions et Bon-Repos sur Blavet a précédé de très peu Bon-Repos en Argoat et devancé plus largement Bon-Repos sur le Blavet. A leur décharge, des élus n’ont, semble-t-il, eu strictement aucun éclairage ou aide sur ces choix pouvant être importants et ont été placés devant un fait non pas accompli mais à accomplir, évidemment dans l’urgence. On a généralement au moins neuf mois pour nommer un enfant. Seul l’avenir dira si ces noms seront utilisés et si oui pour quel projet de territoire. Mais le tourisme, la mer et l’oubli de ce qui nous rassemble semblent aujourd’hui très présents dans ces appellations locales qui ne sont pas toutes validées. On parle parfois de connaissance de cause et c’est aujourd’hui pour l’essentiel aux élus qu’il revient de nommer.
Pour finir par une note qui aurait pu être optimiste, en ce 11 octobre 2016 et après bien des hésitations, les deux communautés de communes d’Antrain et du Coglais ont fini par choisir le nom Couesnon-Marches de Bretagne. Bravo pour la première partie mais la seconde partie suscite bien des interrogations. « Les portes de Bretagne » s’étendent du pays de Fougères à Clisson. Ce nouveau nom a donc de quoi dérouter habitants et voyageurs d’autant plus qu’il abandonne le mot Coglais. Celui-ci viendrait d’un mot celte désignant le nord et était parfaitement légitimé par la situation géographique tout en haut de la Haute Bretagne. Cet abandon est d’autant regrettable que le nom de Coglais était connu dans toute la Bretagne et au-delà comme ayant initié des dynamiques collectives en se basant sur l’appartenance à un territoire.
Les entreprises choisissent, de leur côté, de plus en plus des appellations comme Bretagne ou Breizh car elles les jugent porteuses. Si les élus veulent, comme ils le prétendent, construire de la cohésion, de la cohérence, de la prospérité économique…. pourquoi oublient-ils parfois ce qui nous rassemble ?
Le Comité de rédaction