Le 10 février, Kevre Breizh a participé, avec le Mouvement Associatif de Bretagne, à l’échange avec la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale à Rennes concernant « les évènements » de janvier 2015
Le bureau de Kevre Breizh a pris connaissance et a débattu du projet de réunion à la deamnde du Préfet de région sur les thèmes de laïcité, d’islamophobie, d’antisémitisme. Pour Kevre Breizh le sujet relève de façon plus générale, de la lutte contre toutes les formes de racisme, de xénophobie, de discrimination et de non-reconnaissance des droits de personnes appartenant à des minorités qui sont des principes fondamentaux des droits de l’homme.
Mouvement laïque au sens plein du terme, respectueux des croyances ou non croyances de chacun/e dans le respect des droits humains, Kevre Breizh, coordination des fédérations culturelles de Bretagne est favorable à la participation à un échange avec le Préfet de région, mais en affirmant l’autonomie et les valeurs du mouvement associatif par rapport à l’État. On ne peut accepter de rentrer dans un unanimisme dangereux sous l’égide de l’État et ni imposer l’adhésion à une sorte d’union nationale ou d’assimilation à une identité nationale que le Gouvernement précédent avait déjà tenté de mettre en oeuvre. Ce doit être pour affirmer nos valeurs, expliquer les raisons qui, selon nous, ont conduit aux drames que nous connaissons et qui sont autrement plus graves en Afrique et au Moyen Orient et dans lesquels l’Europe et plus précisément la France portent une très lourde responsabilité en tant qu’ancienne (et actuelle) puissance coloniale.
Nous devons souligner que la cohésion sociale, la lutte contre les discriminations, c’est déjà la tâche et l’action de tous les jours, sur le terrain, de nos mouvements d’éducation populaire. La Bretagne dispose d’un réseau associatif extrêmement dense, qui n’est sans doute pas totalement étranger au fait que les rassemblements dans notre région ont représenté, comme le souligne le président du Conseil régional, proportionnellement le double du nombre de personnes rassemblées au niveau national pour montrer notre refus du terrorisme, mais aussi de l’amalgame et de la stigmatisation et défendre les libertés et la démocratie. La maturité de ces rassemblements, expression d’une volonté de vivre ensemble, loin de l’hystérie collective ou de la désignation de boucs émissaires ne peut être que remarquée.
Nous ne pouvons qu’approuver le projet de chercher à comprendre pourquoi de telles dérives sont possibles en France et de prévenir les phénomènes de radicalisation quels qu’ils soient. Mais la compréhension ne peut passer par l’occultation de l’histoire et en particulier de l’histoire coloniale, celle de la France en premier lieu. La France n’a jamais remis en cause cette histoire. Souvent elle s’égare. Rappelons l’introduction dans la loi d’un article sur les aspects positifs du colonialisme, heureusement abrogé ensuite. On se doit de rappeler qu’au moment des attentats de début janvier, le grand cinéaste breton anti-colonialiste René Vautier venait de disparaitre, et que ses films dénonçant la guerre d’Algérie et le colonialisme en Afrique comme “Afrique 50” ont été censurés pendant 40 ans en France.
Rappelons ce qu’écrivait en 2008 dans son rapport, après une large enquête sur la situation de la France , l’experte indépendante des Nations Unies, Madame Gay McDougall :
« les membres des communautés minoritaires témoignent fréquemment de la frustration qu’ils ressentent en constatant qu’il ne suffit pas de devenir français pour être complètement accepté par le reste de la société. Ils ont le sentiment que la condition de l’acceptation n’est rien moins que l’assimilation totale. Il leur semble qu’à cause d’une vision rigide de l’identité nationale française, ils ont dû rejeter des aspects essentiels de leur propre identité. »
En conclusion le rapport note que « malgré l’existence d’une importante législation anti-discrimination, les membres des communautés minoritaires en France sont victimes d’une véritable discrimination raciale ancrée dans les mentalités et les institutions. Le refus politique de reconnaitre ce problème a entravé l’adoption de mesures propres à garantir l’application des dispositions législatives pertinentes et à corriger les inégalités complexes qui se sont installées ».
L’État peut-il sérieusement “corriger les dérives” sans une remise en cause de ses orientations au moment où les débats au Parlement font la preuve d’’un système complètement verrouillé ?
La circulaire ministérielle du 15 janvier a des aspects positifs mais aussi inquiétants sur le plan des libertés. Quand c’est l’État qui prend la tête de la lutte contre “l’obscurantisme” (mot aux contours on ne peut plus imprécis) ou affirme vouloir favoriser la participation aux mouvements d’indignation, on fleurte dangereusement avec les “mouvements spontanés” de la population dans certains pays totalitaires.
De même est-ce à l’État ou plutôt à la société civile, aux philosophes de définir la laïcité. Attention à la pensée officielle, à la pensée unique. Le propre du fascisme n’est-il pas l’embrigadement de la population sous le contrôle de l’État ? Les droits de l’homme n’ont-ils pas été créés et développés en permanence pour empêcher l’arbitraire et le pouvoir absolu des États ou d’autres puissances comme les grandes sociétés la plupart du temps liées aux États par ailleurs (Elf, Total, Areva…) sur leurs populations ?
Aujourd’hui, des signes très inquiétants existent pour le “vivre ensemble” que le Gouvernement prétend vouloir défendre.
Ainsi, une réforme territoriale est conduite à la hussarde en court-circuitant totalement lespopulations des différents territoires, refusant au Parlement tous les amendements permettant aux citoyens de choisir leurs territoires d’appartenance dans le but revendiqué de casser la diversité des identités territoriales pourtant facteurs de vivre ensemble et de prise en charge par la population de son propre développement.
Est-ce en méprisant les citoyens et en leur refusant la parole dans une réforme territoriale technocratique, violant les principes démocratiques élémentaires et les conventions internationales (comme la Charte européenne de l’autonomie locale qui exige la consultation des populations concernées), que l’on va favoriser la participation des citoyens à la construction de leur avenir collectif et donc à leur intégration à la vie de la cité quelle que soit leur origine ?
Dans le même esprit, le Gouvernement au cours des débats parlementaires sur la loi NOTRe sur la compétence des collectivités locales a bloqué toute reconnaissance de la diversité des langues régionales de métropole ou d’outre-mer aussi minimaliste soit elle.
Est-ce par une loi liberticide protégeant le secret des affaires sous peine de sanctions très lourdes, attentatoire à la liberté de la presse et dissuadant les lanceurs d’alerte témoins de situations de fraude ou de corruption que l’on va encourager les citoyens à assumer leurs responsabilités ?
Est-ce en imposant de chanter la Marseillaise à l’école ou en sacralisant le drapeau, en stigmatisant des enfants de 8 ans conduits au poste de police que l’on va assurer la cohésion sociale et le respect de chacun/e dans son altérité ? N’obtiendra-t-on pas l’effet inverse ? Et n’est-ce pas justement contre ce type de mesures que Cabu et les dessinateurs de Charlie Hebdo se seraient justement soulevés ?
Pendant ce temps le FN arrive en tête dans les sondages, ce qui est logique puisque en reprenant son discours et son idéologie nationale, on lui donne du crédit sans pouvoir le rattraper : on préfère toujours l’original à la copie.
Plutôt qu’un renforcement du pouvoir central jacobin, le refus de la diversité et la stigmatisation et la répression de la différence, la République a besoin de jeter un regard lucide sur son passé et ses carences, et d’évoluer vers un système démocratique qui fait confiance aux citoyens responsables et à leur capacité à prendre en charge eux-mêmes leur avenir.
Membre d’EBLUL-France
Réseau Européen pour l’Égalité des Langues
Statut spécial au Comité Économique et Social des Nations Unies.