Dossier 10. Et si la Bretagne renouait avec son destin maritime ?
Le dossier 10 de construirelabretagne.bzh nous oriente vers le large : La Bretagne et la mer. Avec un tiers des côtes françaises et la moitié des chercheurs, on comprend que l’or bleu soit pour notre région un gisement et un tremplin. L’histoire montre que prospérité rime avec maritimité en Bretagne. Mais depuis le blocus continental napoléonien, la Bretagne n’a pas vraiment repris son destin maritime en main. Qu’il s’agisse de logistique ou de filières nouvelles (algues, biotechnologies, santé, croisières, énergie renouvelable, pêche durable…), la Bretagne dispose pourtant d’un potentiel exceptionnel. La mer monte en puissance dans les enjeux affichés par la Région, mais il manque une stratégie globale qui maille tous ces domaines. L’intégration de Nantes-Saint-Nazaire à ce dispositif est indispensable. Comme il sera indispensable d’apprendre à travailler autrement pour déminer l’égoïsme des riverains et contourner les sables mouvants de l’administration.
Dossier 10. La Bretagne et la mer.
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Si on prend en compte de multiples indicateurs (les activités hauturières et de pêche, le linéaire de côtes, les activités de plaisance, le nombre de chercheurs travaillant sur ce domaine…), la Bretagne est de très loin la première région maritime de France. Concernant la pêche, la Bretagne réalise 45 % des prises et 43 % de la valeur générée par le secteur en France. Elle abrite le premier pôle européen de recherche sur la mer et regroupe la moitié des chercheurs et scientifiques français travaillant sur ce secteur stratégique. En raison de côtes très découpées, un tiers du linéaire côtier français est breton. L’armor breton est aussi en termes de fréquentation un des plus attractifs au plan touristique en France, la région étant la quatrième région française pour cette activité. La mer est donc un élément constitutif du développement breton. Au plan historique, la Bretagne fut toujours prospère lorsqu’elle était maritime et que l’armor et l’argoat se soudaient. On sait qu’au XVIIe siècle, selon Jean Delumeau, l’exportation des toiles fabriquées au pays lui permettait de rayonner à l’international et de frapper jusqu’à un tiers de l’or français. Toutefois, suite notamment au blocus napoléonien déclenché en 1806, la prospérité maritime bretonne s’effondre. Depuis lors, grâce à des visionnaires comme Alexis Gourvennec, des initiatives comme celle de la Brittany Ferries ont permis quelque peu de redresser la barre. Toutefois, les dynamiques maritimes bretonnes avancent aujourd’hui en ordre dispersé, comme s’il manquait une stratégie globale. Comment aujourd’hui renforcer et surtout coordonner les dynamiques bretonnes pour un réel projet marin breton ?
Diagnostic
Le bilan de l’interaction entre la mer et la Bretagne est extrêmement contrasté. D’un côté, la Région est dans l’excellence (le pôle de compétitivité mondial mer par exemple, le nombre de brevets déposés pour la valorisation des diverses ressources marines et notamment pour les algues…). Mais de l’autre, certaines filières hauturières sont en grande difficulté. La Bretagne reste aussi un quai naturel incontournable (20 % du trafic maritime mondial de marchandises passent près de nos côtes) … et totalement contourné par les divers navires. Des marchandises aboutissant en Bretagne sont ainsi débarquées à Anvers ou Rotterdam avant de rejoindre la Bretagne par camion. Alors que dans le monde la plupart des péninsules maritimes connaissent un développement exceptionnel, cette carence logistique pénalise l’ensemble de la Bretagne et tout particulièrement sa partie occidentale. Parallèlement, différentes enquêtes démontrent que le regard des Bretons sur l’océan est ludique, sympathique, patrimonial (la faune, la flore, se promener, le désir d’avoir une maison avec « vue sur mer »…) et très peu stratégique (la logistique, les énergies marines etc.). Le littoral est près de deux fois plus conflictuel que l’argoat avec des riverains ou des résidents qui s’opposent de plus en plus au développement d’activités de portée économique (la culture des algues, l’essor de l’ostréiculture ou de la mytiliculture…). Confisquées par des classes aisées, certaines bandes littorales deviennent inaccessibles aux jeunes et ont de moins en moins d’activités permanentes. Si des progrès récents sont réalisés (le décret préfectoral du 30 juin 2015 autorisant plus largement le ramassage des algues avant leur échouage, l’essor des énergies marines renouvelables, les projets industriels du port de Brest…), le bilan de l’interaction Bretagne-mer reste en 2015 médiocre alors que dans le monde une révolution maritime est en marche (l’essor des croisières, des récifs artificiels pour une pêche durable et de proximité, l’envol des innovations pour les biotechnologies marines…). En Bretagne, malgré la puissance des activités de recherche, la Région n’a pas établi sur ces sujets croisés de réelles stratégies permettant de valoriser son exceptionnel potentiel. Si des projets ponctuels ont été menés à bien ou vont se mettre en place (les parcs éoliens offshore par exemple), les différentes initiatives restent trop désarticulées et ne forment pas système. Comment résoudre ce paradoxe d’une région profondément maritime et qui semble parfois tourner le dos à l’océan ?
Quel programme?
La Bretagne doit devenir en France pilote pour l’innovation maritime. N’oublions pas en effet que la France compte 11 millions de km2 de surfaces maritimes et océaniques (c’est la deuxième puissance mondiale) et pour l’instant on n’en fait pas grand-chose. Depuis la nomination du ministre breton Louis Le Pensec, il n’y a même plus en France de ministère de la mer ! Il s’opère dans le monde entier une fantastique « course au large » pour valoriser les ressources océanes (71 % rappelons-le des surfaces de la planète « Terre ») et la France reste obsédée par les projets terriens. Proue naturelle posée sur l’océan, la Bretagne peut démontrer preuve à l’appui les bénéfices de la valorisation océane.
- Tout d’abord, elle sera pionnière pour initier une autre approche océanique, passant de son « exploitation » plus ou moins durable à sa valorisation. Ce point est crucial. Pour lors, soit on exploite les océans, soit on exige ici ou là sa « préservation » (la création d’un sanctuaire arctique par exemple). Résoudre cette dichotomie passera par une approche philosophique enrichie et globale, envisageant l’océan non pas comme un « sixième continent » mais comme un milieu parfaitement original, multidimensionnel et mouvant, et qui est sans doute au plan écologique la dernière chance de survie pour la planète. Cette approche neuve envisagera l’océan dans toutes ses dimensions (actuellement seuls 5 % des fonds benthiques sont explorés) avec des approches à la fois spécifiées (le nouvel univers du flottant pour les surfaces maritimes, l’enjeu fondamental de la pêche durable pour les volumes océaniques…) et profondément associées (la surveillance aérienne des océans pour une fiabilité renforcée des trafics de surface, etc.). Avec son potentiel naturel et de recherche, la Bretagne sera pilote pour un aménagement volontariste et durable d’un milieu à la fois prometteur et exigeant des actions spécifiées.
- De manière plus sectorielle, elle engagera tout d’abord une politique logistique d’envergure à différents niveaux. Tout d’abord, en partenariat avec les autres ports bretons, le Conseil régional multipliera les liens avec Nantes-Saint-Nazaire qui est le hub logistique naturel de la Bretagne. L’estuaire de la Loire (Donges, Montoir-de-Bretagne etc.) assure déjà plus de 80 % des flux maritimes bretons en provenance de la péninsule pour l’export (les produits agroalimentaires notamment) ou destinés à elle pour l’importation (énergie notamment). Mais on fait comme si cette réalité n’existait pas et cette absence de liens pénalise tout le monde, notamment les ports de l’estuaire qui voient aujourd’hui leurs trafics diminuer. Une stratégie logistique bretonne sera donc mise en place pour résoudre ce paradoxe d’une Bretagne excellemment placée et qui capte peu de flux internationaux en voyant même son maigre trafic international diminuer. En effet, 95 % du trafic mondial de marchandises se fait désormais par voie maritime et l’Irlande, nettement moins bien placée, a vu son trafic être multiplié par deux en 10 ans. Il s’agira donc d’une part d’associer les ports bretons pour une offre plus cohérente, de limiter les actuels blocages et le poids de certains lobbys, de réfléchir à la création éventuelle de zones franches pour renforcer la compétitivité régionale. Comme l’essentiel des villes bretonnes est littoral, ce réseau tentera d’autre part de lancer une offre de cabotage pour un transport écologique et prometteur, correspondant bien à la géographie bretonne et permettant l’export. En effet, ces offres se renforcent nettement dans différents pays (en Italie par exemple, en Allemagne où l’on compte 500 caboteurs pour 600 km de côtes…). Pendant ce temps la Bretagne avec ses 2 700 kms de côtes ronronne et l’on n’y compte qu’une poignée de caboteurs qui pourtant font preuve de leur efficacité (celui de la coopérative du Gouessant évite chaque année le trafic de plus de 4 000 camions). Parallèlement, avec notamment la Brittany Ferries, on réfléchira à construire une offre touristique bretonne. Le secteur de la croisière par exemple connaît un très fort développement, y compris d’ailleurs en Bretagne, mais il n’existe pas de réelle offre péninsulaire permettant par exemple de visiter la Bretagne de Saint-Nazaire à Saint-Malo, alors que la région offre des sites et paysages exceptionnels, peut proposer des haltes emblématiques et lucratives notamment pour les commerçants. On pourra s’inspirer des initiatives développées en Norvège ou en Italie avec des offres à grands succès qui font désormais que les touristes arrivent par la mer. Enfin, toujours au plan logistique, on oublie que la Bretagne est une des régions les plus parcourues au monde par les câbles à fibre optique qui assurent 90 % des relations Internet dans le monde. Le premier câble transatlantique a atterri en 1869 à Brest (la pointe du Minou). Le nouveau backbone ACE long de 17 000 km relie … Penmarc’h à Cap Town en Afrique du Sud pour permettre à 23 pays de la côte Atlantique de recevoir l’Internet à haut débit. La Bretagne est incontournable sur la route planétaire des câbles et ses activités économiques sont très versées dans les TIC. Or, pour l’instant, on ne fait rien de cette situation doublement stratégique et aux enjeux si importants (économique, logistique, de surveillance, de cybersécurité, etc.). On compte 38 techniciens pour la maintenance dans la station de Penmarc’h ! En lien avec les grandes écoles dont nous bénéficions : Telecom Bretagne (anciennement ENSTB), IEP, ENSTA Bretagne, ESC, INSA, SUPELEC… un autre souffle fera de la Bretagne la région névralgique de réflexion et d’action pour ces équipements majeurs d’aujourd’hui et certainement de demain. Il suffit de planter le drapeau, de créer sur ce sujet majeur un centre de recherche stratégique et pluridisciplinaire. Il existe une réelle place à prendre car il n’existe pas actuellement de centre mondial permanent d’étude sur ce sujet : nous avons tout pour le créer.
- La Bretagne développera ses initiatives d’ores et déjà de qualité pour l’essor renforcé des E.M.R (énergies marines renouvelables),
en veillant au maximum à créer une filière complète et présente à chaque étape du développement (conception, fabrication, pose et gestion des équipements etc.). L’enjeu majeur est en effet de renforcer la production et l’autonomie énergétique du pays en valorisant l’exceptionnel potentiel naturel de la péninsule (des vents et courants parmi les plus forts d’Europe). Au lieu de soutenir comme aujourd’hui des projets qui accroissent notre déficit énergétique (la centrale à gaz de Landivisiau), on valorisera le chaînage vertueux de ces énergies écologiques (hydroliennes, éoliennes offshore…) avec une attention particulière portée aux éoliennes flottantes qui semblent une solution d’avenir. - Prorogeant les actions actuelles menées par le pôle de compétitivité mer, la Bretagne fera de la pêche durable un sujet prioritaire. En effet, le phénomène de surpêche est un enjeu planétaire avec des défis colossaux pour nourrir durablement l’humanité. Or, y compris au large, des solutions véritablement durables apparaissent (la pêche de plus en plus sélective comme l’illustre le lancement du nouveau navire de la Scapêche, les élevages multitrophiques intégrés dans le domaine de l’aquaculture, l’ensemencement de l’océan, les récifs artificiels et écologiques pour offrir des habitacles aux espèces, la gestion durable des ressources halieutiques, etc.
La Bretagne doit davantage investir ce créneau porteur et démontrer qu’une pêche durable est l’avenir essentiel de la gestion océanique. En s’inspirant de multiples initiatives qui ont fait leur preuve (la gestion des coquilles Saint-Jacques en baie de Saint-Brieuc par exemple), le projet « Bretagne jardin océanique » sera donc un axe majeur destiné aussi à recréer une véritable économie littorale au lieu de se spécialiser dans des activités de villégiatures. - Dans ce cadre, la facilitation des initiatives entrepreneuriales sera enfin un axe majeur. Aujourd’hui, il faut parfois des dizaines d’années avant que des porteurs de projets puissent entreprendre (la valorisation de la crépidule en baie du mont Saint-Michel, le ramassage ou la culture des algues, etc.). Le labyrinthe administratif et la difficulté d’obtenir des autorisations est aujourd’hui sans doute le point de blocage majeur qui stoppe ou freine de multiples projets, avec de surcroît des riverains qui s’opposent parfois de manière abusive à des projets de bons sens. On a vu par exemple à Moëlan-sur-Mer un collectif s’opposer à la culture des algues… car des camions risquaient de passer devant leurs maisons ! La Région fera de la prévention, de la gestion et de la résolution de ces conflits un axe primordial afin que la Bretagne ne soit pas une réserve touristique mais bien un espace productif mariant l’armor et l’argoat, les intérêts des uns et des autres. On s’intéressera notamment aux initiatives prises en Allemagne ou au Danemark puisque là-bas, les citoyens sont dès l’amont associés aux projets et peuvent y participer (crowfunding par exemple) en bénéficiant de retombées financières. Comme par magie, les projets économiques sont de fait mieux acceptés voire résolument soutenus par les citoyens puisqu’ils en bénéficient. Cet élément de l’acceptabilité des projets économiques est loin d’être négligeable. Il est une des conditions pour permettre à la Bretagne d’avoir un littoral vivant, productif, combinant pour plus de développement des activités plurielles qui se fertilisent au lieu de se combattre. Le tourisme peut bien sûr aider aux activités hauturières de vente directe. La pêche et les activités de proximité peuvent revitaliser des communes littorales moribondes dix mois sur douze. L’essor du cabotage peut dynamiser des activités dans des ports qui ont oublié leur génétique et se sont parfois bien trop spécialisés dans le domaine de la plaisance.
En conclusion, tout particulièrement pour la Basse-Bretagne (dossier suivant) et au bénéfice de la Loire-Atlantique, un autre regard stratégique est tout à fait indispensable. La Bretagne doit retrouver une ambition maritime. Cette dernière n’omettra en aucun cas les fantastiques innovations qui, aujourd’hui, se multiplient dans le monde. La recherche sera plus appliquée et la mer envisagée de manière systémique et non comme aujourd’hui de façon cloisonnée (ici la pêche, là le tourisme, ailleurs l’énergie…). On créera aussi un dispositif souple de veille internationale pour repérer partout dans le monde les initiatives majeures qui annoncent l’émergence et l’affirmation d’une planète « mer ». On assiste en effet dans le monde à des révolutions dans l’univers du flottant (habitat, nouveaux modes écologiques de déplacements, projets de villes flottantes…), à un nouvel urbanisme marin adapté au réchauffement climatique et à la montée des eaux, à la présence de débouchés exceptionnels concernant la valorisation des algues… Au bénéfice de tous, la Bretagne a toutes les cartes en mains pour devenir une région pionnière de l’innovation maritime.
Le Comité de Rédaction
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