Le dossier 12 de construirelabretagne.bzh donne un coup de projecteur sur L’innovation régionale. Bonne élève en la matière, la Région est classée 13e sur 234 régions européennes pour les dépôts de brevets dans les TIC. Gros faiseux mais p’tits diseux, les Bretons rechignent à mettre leurs plus belles réussites en lumière. Et ceux d’entre eux qui sont devenus des leaders mondiaux n’affichent guère leur ancrage breton. Notre image pâtit de cet excès de pudeur. Charge à la Région de capter quelques reflets de ses prestigieuses réussites. L’essentiel des efforts porteront cependant sur l’innovation « in sol », telle que la « glaz économie » en dessine les contours. Qu’elle soit technologique, sociale, environnementale ou organisationnelle, elle gagnera à s’inspirer des réalités vivantes de notre territoire.
Dossier 12. L’innovation régionale
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L’innovation est un terme difficile en définir. En latin, le terme « innovare » signifie à la fois une forme de « retour à un point de départ » et de fait un renouvellement. Mais le mot prend aussi le sens d’une nouveauté, d’un produit, service ou bien qui change ou révolutionne les pratiques et les sociétés (l’imprimerie, l’essor du numérique, etc.). Une invention sans usage n’est pas une innovation. A l’inverse, une simple idée peut déclencher de nouveaux usages, par exemple dans le domaine de l’innovation sociale (le covoiturage, etc.). En réalité, cette étymologie double est très riche et particulièrement adaptée à l’innovation bretonne. D’un côté, la Bretagne a, lors des Trente Glorieuses, connu un fort développement mais parfois aussi oublié sa génétique territoriale (pollution de l’eau, remembrement abusif…). La perception de l’innovation comme un retour aux fondamentaux est donc une clé vertueuse pour permettre une meilleure adéquation de l’économie aux exigences environnementales de la péninsule pour plus de performance. De l’autre côté, bien sûr, la Bretagne est aussi une terre d’innovation et cinquième pour le dépôt des brevets en France. De manière parfois stéréotypée et notamment lors des reportages touristiques ou grand public, les médias évoquent souvent une Bretagne bucolique et la présence de « secteurs plus traditionnels » (l’agriculture, la pêche etc.) ou oubliant que ces activités et bien d’autres sont souvent en pointe pour l’innovation entrepreneuriale. On verra aussi que les Bretons et plus largement la région Bretagne, souvent modestes, communiquent peu sur des performances pourtant réelles. L’image véhiculée autour de la Bretagne ne s’écrit pas en correspondance avec la réalité d’une région fortement innovante. Comment résoudre ces paradoxes pour plus de développement et de prospérité économique ?
Diagnostic
Avec ses pôles de compétitivité, la multiplicité des PME-PMI, son goût pour l’économie productive (dossier 5), ses singularités sociales (dossier 7)… la région Bretagne est bien placée pour l’innovation en Europe. En effet, elle est la cinquième région française pour les dépenses de Recherche et Développement (1,5 milliard d’Euro par an) et pour les effectifs de recherche en R§D (17 000). Elle est aussi cinquième pour le dépôt des brevets en France (la France étant deuxième en Europe sur ce sujet). Une spécificité régionale naît de la pluralité innovante portées par de toutes petites entreprises et d’autres structures débordant le seul champ économique. Certes, on trouve d’un côté des innovations portées par des mastodontes comme Thales ou Alcatel-Lucent qui ont des laboratoires en Bretagne (ces deux entreprises sont dans le « top 100 » des entreprises mondiales les plus innovantes). En France comme ailleurs, on a d’ailleurs tendance à s’intéresser aux innovations majeures et de prestige.
Toutefois, les dépenses d’investissement, de recherche et développement (DIRD) dans les entreprises bretonnes de moins de 250 salariés sont deux fois plus élevées que la moyenne des régions françaises (la région est sur ce sujet quatrième). Surtout, des pépites et trouvailles apparaissent parfois selon des modalités atypiques dans de toutes petites entreprises et ont de fait du mal à apparaître ou être reconnues. Dans l’ensemble, les champs de l’innovation procèdent inévitablement des spécificités économiques régionales, même si de nouveaux champs apparaissent. La Bretagne est sur 234 régions européennes la 13e pour le dépôt de brevets concernant les TIC. Elle est excellemment placée et une des régions les plus innovantes du monde dans le domaine de l’image. L’innovation agroalimentaire et les sciences du vivant sont aussi très bien représentées même si l’atomisme de la créativité peine parfois à se faire reconnaître. Elle est devenue avec 150 entreprises la troisième région française dans le domaine des biotechnologies. Un nombre grandissant de brevets concerne la mer, par exemple pour la valorisation des algues (Algopack à Saint-Malo, Felor à Vern-sur-Seiche etc.) ou des arénicoles (Hemarina à Morlaix). En raison du maillage entrepreneurial, une myriade d’innovations parfois très pointues émergent aussi dans des espaces déconcentrés (la nouvelle nurserie numérique d’Ubisoft à Malestroit, la société Olmix à Bréhan, les chantiers Piriou à Concarneau…). Saluons la très récente création d’Act Food, à l’initiative de la Région, qui met en réseau 5 centres d’innovation technologiques agri-agro (CEVA, ID Mer, Végénov, Adria, Zoopôle développement), avec l’ambition de faire de la Bretagne le leader européen de l’innovation et de la valeur ajoutée dans l’agroalimentaire. Enfin, au-delà de ces réalités industrielles, soulignons la puissance innovante de la Bretagne dans d’autres domaines : on peut citer entre autres l’innovation sociale avec les singularités régionales, l’inventivité artistique, culturelle ou touristique, une originalité organisationnelle permettant parfois d’avancer en groupe pour faire gagner le collectif.
Quel programme ?
La Bretagne ne part pas de rien et plusieurs stratégies peuvent conforter l’existant, créer d’autres dispositifs pour « une Bretagne qui gagne ». Cinq points semblent à privilégier même si la prospective sur ce sujet est des plus difficiles puisque des « innovations de rupture », comme le fut la création du Web, peuvent brutalement changer l’ensemble des paradigmes et des usages.
- Tout d’abord, on l’a constaté, la réalité innovante de la Bretagne n’est pas assez évoquée et promue. Certes, il est dans la nature du Breton d’être un « faiseu » plus qu’un « diseu », autre nom des communiquants, et c’est aussi une vertu de ne pas fanfaronner outre mesure sur des réussites. Malgré tout, cet excès de discrétion devient un problème lorsqu’elle finit par créer un déficit d’image, voire installe une représentation régionale en décalage avec sa réalité. On évoquait dans le dossier 8 (la Bretagne numérique) l’absence d’un « récit » pour promouvoir la Bretagne à l’aide d’une politique marketing qui, sans exagération, valoriserait des singularités pour attirer les jeunes performeurs. Les initiatives brestoises de la West Web Valley et des actions entreprises par B.Com sont peut-être en train de mettre le dispositif en marche. Mais ce positionnement original est crucial. Il pourrait, on le disait, faire le pari d’un Web plus éthique, se lancer autour du .bzh dans l’affirmation d’une expérimentation bretonne mariant les biotechnologies, l’écologie, le numérique à des valeurs humanistes, afin d’éviter notamment tout le processus de déterritorialisation et de monétarisation des données (dossier 8). Puisqu’il ne faut surtout pas bâtir une image sur du sable, cette vision sera surtout établie en correspondance avec des actes.
- Parmi ces derniers, les deux étymologies du terme innovation seront mariées pour plus de performances. D’un côté, la Bretagne jouera au maximum la carte d’une économie territorialisée pour recréer à l’aide de ses ressources des valeurs économiques qui, actuellement, lui échappent. Sait-on que la facture énergétique des Bretons s’élève aujourd’hui à 3,6 milliards d’Euros par an, soit plus de 1 000 Euros par habitant et par an ? Par l’animation de projets pluriels diffusés sur la toile, la Région aura un immense rôle à jouer pour associer les multiples initiatives émergentes. Elle ne créera pas une structure de plus mais agira pour relayer les réalisations existantes. A l’inverse, elle orientera au maximum ses aides vers des projets qui valorisent la terre bretonne. Elle le fait déjà en partie par exemple pour aider à la réalisation de différents projets énergétiques. Toutefois ces démarches sont à renforcer pour créer un développement « in sol », c’est-à-dire strictement déterminé par le potentiel de notre territoire. Ainsi, on ré-enchantera quelque peu la féérie du Triskell (an dour, an douar, an tan…) pour, avec des stratégies très adaptées à la péninsule, innover par des actions très spécifiques et calées sur les spécificités écologiques du pays (l’eau, la terre, le « feu » et quelque part l’énergie, le vent…). Cet élément innovant est fondamental. Il a en partie été promu par la dernière mandature autour du concept intéressant de la « glaz » économie (économie verte, bleue et grise) avec une lourde et intéressante étude réalisée sur ce sujet par Bretagne Développement Innovation (http://www.bdi.fr/sites/default/files/ressource/srdeii_amende_rapport_et_annexe.pdf). Toutefois, il faut aller plus loin pour adapter le développement territorial à la personnalité du pays. Cet élément est fondamental pour créer avec les éléments naturels des richesses parfois dérobées et de multiples emplois non délocalisables. De même, si la Bretagne est vraiment pionnière pour cette économie de la réappropriation, elle pourra exporter ce savoir-faire dans de multiples régions mondiales concernées par ce même challenge.
- Parallèlement, l’innovation ne peut évidemment pas être exclusivement confinée au seul périmètre breton.
Des composants électroniques sont standardisés à l’échelle internationale. Le groupe Legris Industries (227 millions d’Euros de chiffre d’affaires) et dont le siège est à Rennes, exporte dans le monde entier des pièces mécaniques et produits informatiques très souvent identiques. Malgré des nuances liées aux différences culturelles, il existe dans le monde des réalités et besoins « convergents » (se nourrir, se laver, se déplacer, communiquer…) qui déclenchent d’immenses marchés. Ainsi, le groupe Yves Rocher, pourtant très breton, communique peu sur son appartenance régionale car l’usage d’un produit cosmétique diffère peu que l’on soit à Taïwan ou au Canada. Une patte nationale ou régionale est souvent un plus (la réputation de fiabilité des produits allemands entachée par l’affaire Volkswagen, le succès du groupe Clarins lié au lancement de la marque « l’Occitane »…). Toutefois, notamment dans le domaine des T.I.C, la provenance d’un outil standardisé compte peu au regard de ses performances. De fait, l’innovation régionale est aussi liée à la capacité de diffuser des produits standards sur un marché mondial. Certaines innovations du groupe Bolloré, déployées de façon très volontariste par le groupe, ont comme « cible marché » le monde entier. Une entreprise comme Ubisoft a prouvé qu’elle pouvait devenir un leader mondial en étant née à Carentoir. Concernant ces entreprises privées dont le marché est planétaire, le Conseil régional a bien sûr peu de prise. Par contre, il pourra davantage valoriser ces entreprises de dimension internationale dont il parle très peu. Ces entreprises mondialement connues peuvent être davantage perçues comme bretonnes et donnent à la région une image de réussite et de modernité. La Région confortera son rôle de facilitateur lorsque ces sociétés veulent étendre leurs activités en région (achat de terrain, lobbying pour aider à une implantation possible comme le montrent les actions du groupe Bolloré à Quimper et Rennes, etc.). - Un axe tout à fait majeur du projet régional sera de renforcer chez les jeunes la fibre entrepreneuriale. En lien avec l’éducation (dossier 9), il s’agit ici d’un immense chantier car les jeunes méconnaissent les réalités économiques bretonnes, ne sont pas au fait des opportunités présentes dans la région. En raison de l’évolution de la pyramide des âges, une PME bretonne sur deux va être à reprendre d’ici 2020. Cela représente 7 700 entreprises de 5 à 200 salariés soit 145 000 emplois. Des filières bien plus innovantes qu’on ne l’évoque (l’agroalimentaire, l’artisanat, les industries mécaniques…) peinent aussi à recruter en raison d’un déficit d’image ne correspondant pas à la réalité changeante de leurs activités. Un élément urgent est donc de privilégier chez les jeunes une culture économique. En effet, le taux de chômage des jeunes Bretons est supérieur à la moyenne française (20,2 % contre 19,7 %). Il est surtout beaucoup plus élevé qu’en France pour les diplômés de deuxième et troisième cycles qui ont pourtant fait leurs preuves au plan scolaire. De manière impérative, un plan stratégique doit être inventé pour associer les transmissions d’entreprises aux compétences, inciter surtout les jeunes Bretons à s’orienter vers l’économie productive. Comme le suggère de façon très judicieuse le rapport de B.D.I, des plans régionaux de compétence seront effectivement lancés (dans les filières professionnelles parfois négligées, à l’université, dans les grandes écoles…) pour une montée en puissance d’enseignements corrélés à l’émergence des nouvelles activités et surtout les croiser parfois de façon audacieuse pour renforcer l’innovation (éco- activités, EMR, mobilités décarbonées, économie d’énergie dans le bâtiment, les activités de cyberdéfense, les neurosciences etc.). Parallèlement, pour éviter un troisième échec financier de cette « Université du grand Ouest » jugée illisible par le jury international (16,5 millions d’Euros perdus en 2015), elle avancera toujours plus avec une patte bretonne pour une recherche à la fois appliquée et des innovations lisibles et localisées à l’international. Ce « grand » Ouest est une catastrophe inadmissible et un obstacle majeur s’opposant à la notoriété internationale de la Bretagne.
- De manière structurelle, la Région appuiera enfin les singularités bretonnes pour renforcer ses performances. En effet, on sait qu’ici 90 % de l’emploi est assuré par des PME / PMI et des TPE. Certains évoquent les limites de cet « atomisme économique » alors qu’il est selon nous une chance. En effet, cette organisation limite les fractures territoriales, illustre une forme d’agilité économique, permet aussi aux « patrons » d’être très proches de leurs salariés (la Bretagne est d’ailleurs la région française où l’écart entre les salaires et classes sociales est le plus modéré). A l’inverse, cette pluralité innovante et déconcentrée doit encourager à des formes de mutualisation pour plus de développement. Par exemple, moins de 7 % des entreprises bretonnes exportent tous les ans et la Bretagne est 14e en France pour l’export. Ce mauvais résultat ne correspond pas à la qualité des innovations ou productions mais trouve son origine dans les difficultés qu’ont les entreprises de tailles limitées à conquérir les marchés externes. Une solution sera de créer des emplois mutualisés entre diverses PME, notamment en lien avec les groupements d’employeurs (la région est déjà sur le sujet la première en France).
Cette innovation organisationnelle crée des emplois collectifs qu’une entreprise ne peut se payer de manière individuelle et favorise le transfert de savoir-faire et de compétences. Cette mutualisation peut aussi aider à résoudre le problème de l’emploi du conjoint, fréquent pour les emplois décisionnels. « L’atomisme » économique breton n’est pas un frein mais un levier d’innovation si jamais on renforce les partenariats entre les sociétés et surtout les dynamiques d’expérimentations (le partage de projets concrets plutôt que la création de structures). Les « compétences partagées » favorisent les dynamiques de transversalités et ont déjà fait leur preuve pour obtenir des débouchés commerciaux à l’international. Ces formes souples d’expérimentation seront renforcées par diverses actions pratiques.
Au final, l’enjeu est donc en Bretagne d’écrire une veine innovatrice en correspondance avec nos singularités économiques, écologiques et sociales. En raison de son potentiel naturel exceptionnel (par exemple la présence de vents et de courants marins parmi les plus forts d’Europe), elle peut vraiment se positionner en situation d’avant-garde sur ce nouveau monde qui « mariera les techs à l’éthique », l’écologie et l’économie avec en toile de fond l’affirmation de nouvelles solidarités. La Bretagne doit jouer cette carte de l’innovation alternative. Avec un profil d’ores et déjà très fort dans les biotechnologies, l’économie sociale, les TIC, la recherche, le cadre de vie… La Bretagne a beaucoup de cartes en main pour apparaître comme pionnière et devenir un réel « centre », c’est-à-dire « un espace où les choses se passent ».
Le Comité de Rédaction
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