Le dossier 13 de construirelabretagne.bzh aborde l’extraordinaire trajectoire de l’agriculture bretonne. Les profondes difficultés auxquelles notre agriculture fait face ne doivent pas encourager une pensée dualiste condamnant un « modèle » qui n’existe plus depuis trente ans. Un tiers de l’économie et des emplois bretons sont liés à notre agriculture et 35% de nos exportations. Respect ! Pourtant un agriculteur sur deux vit mal de son métier. La future Région aura à cœur de valoriser la profession et de promouvoir à l’international l’excellence bretonne. Pas un drapeau breton au Space, quel dommage ! Disposant désormais de la gestion des aides européennes, Le Conseil régional pèsera de tout son poids pour une saine gestion du foncier, un allègement expérimental des normes, une explication des projets aux populations locales très en amont, un élargissement du métier à de nouvelles productions de valeur : environnement, énergie, économie circulaire…
Dossier 13. L’économie de la Terre
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Dossier 13. L’économie de la Terre
« Labour-douar » : le travail de la terre. Malgré la présence d’un secteur très chahuté et connaissant des crises successives, la Bretagne reste une des premières régions agricoles et agroalimentaires d’Europe. Ce secteur d’activité est des plus complexes et souvent analysé à la va-vite avec bien des poncifs. En réalité, selon les filières, le degré d’intégration, les marchés, selon que l’on soit seul ou par exemple en GAEC, il existe en Bretagne presque autant d’agricultures que d’agriculteurs. De même, ces activités productives déclenchent en amont et en aval des activités plurielles qui connaissent, elles aussi, des destins variés. Il est donc très difficile de brosser en quelques lignes un diagnostic régional. Dans l’ensemble, on constate toutefois que c’est la base de la pyramide productive qui est en train de s’effondrer. Or, si le socle productif disparaît, c’est toute la filière bretonne qui va s’affaisser comme un château de cartes. Comment résoudre ce formidable défi pour appuyer un secteur d’activités qui engendre des retombées économiques majeures ?
Diagnostic
Suite à la colère paysanne de septembre 2015, l’Etat a joué les pompiers en attribuant 3 milliards d’Euros à la filière. Toutefois, on ne s’attaque pas aux problèmes de nature structurelle. Les paysans bretons ne demandent qu’une seule chose : des prix. Or, l’Etat ne souhaite pas attaquer la pyramide centraliste qui concerne d’autres secteurs et explique les difficultés. Actuellement, les problèmes paysans sont très clairement liés au différentiel de charges pesant sur les exploitations, au coût supérieur en France de la main d’œuvre puisqu’il n’existe pas d’Europe sociale, à l’avalanche excessive des normes et réglementations dans un secteur suradministré. Ces difficultés sont aggravées par l’embargo russe, des rivalités internes et la présence d’un centralisme énergétique qui a limité les processus de diversification. Ces problèmes, pour lors, ne sont pas résolus et les chiffres actuels donnent le tournis. Un tiers des paysans sont menacés et plus de la moitié des agriculteurs ne vivent plus décemment de leurs labeurs. Les pouvoirs minimisent la catastrophe qu’entraîneraient ces disparitions d’exploitations et des volumes produits. Certes, ces agriculteurs ne représentent plus que 3 % de la population active et donc des électeurs contre 53 % en 1954 (on comptait alors en Bretagne 554 000 paysans !). Cette évolution explique peut-être pourquoi ils peinent à se faire entendre. Toutefois, c’est oublier la puissance économique générée par ce secteur et ces professions car si la population s’est réduite, les volumes ont été démultipliés. Selon différents calculs, les agriculteurs déclenchent en Bretagne un tiers de l’activité économique avec de multiples emplois en amont (la recherche, la fabrication d’engrais, la fourniture de matériel et d’aliment, les activités vétérinaires, la formation…) et en aval (l’emploi dans les industries agroalimentaires, les activités des sociétés et coopératives, les exportations portuaires, les activités des transporteurs routiers, etc.). 35 % de l’emploi industriel breton se situe dans l’agroalimentaire et n’existerait plus sans le « minerai » ou « l’or » produit par les paysans. Le secteur représente 34 % de la valeur des exportations bretonnes. Des entreprises jugées parfois très loin de l’agriculture en dépendent fortement : 30 % du chiffre d’affaires de certains groupes d’assurance, de banques, de cabinets d’expertises proviennent de cette activité. La Brittany Ferries réalise 32 % de ses bénéfices en transportant ces produits. Le drame réside dans la chute d’une base économique indispensable aux activités précitées. L’agriculture, c’est une pyramide économique inversée. Si la pointe cède, on va assister à une réaction en chaîne et un effondrement systémique bien plus grave que ne l’envisagent les pouvoirs en place. Il est totalement anormal voire scandaleux que ces professions générant tant d’emplois et de salaires induits (y compris dans l’administration) ne soient aujourd’hui parfois plus rémunérées. Ce point est d’autant plus essentiel que nous avons démontré dans le dossier 5 le primat de l’économie productive et l’importance clé en Bretagne des entreprises agroalimentaires, bien moins en crise qu’on ne l’évoque. Les agriculteurs bretons sont donc le socle et le moteur d’une activité névralgique pour l’avenir du pays. La prise de conscience de l’ensemble des décideurs doit être à la hauteur des enjeux. D’ores et déjà, grâce à des fonds européens et des contreparties nationales, la région Bretagne a décidé d’allouer 780 millions d’Euros pour aider au développement. Le programme va soutenir la modernisation de 5 500 exploitations agricoles (16 % du total) et l’installation de 3 400 jeunes agriculteurs. Ces décisions vertueuses permettront aussi d’améliorer les performances des diverses transformations agroalimentaires (industries, équipements dans les fermes pour la valorisation et la vente directe des produits…). Ces actions concrètes, volontaristes et vertueuses peuvent être complétées par différentes stratégies visant notamment à changer le regard parfois porté sur le monde agricole et agroalimentaire.
Quel programme ?
La Région n’exerce qu’une prise relative sur des activités hautement concurrentielles et concernées par des enjeux européens sinon mondiaux (le projet de Traité transatlantique, le poids de Bruxelles, le boycott en Russie, etc.). Elle se bagarrera plus qu’aujourd’hui et de manière permanente pour mettre fin aux distorsions de concurrence à l’échelle européenne et nationale. Ce point crucial s’accompagnera d’actions internes sur lesquelles nous allons insister. Six points importants semblent à privilégier pour renforcer la cohérence interne et développer une priorité paysanne.
- Tout d’abord, il est urgent de reconnaître les paysans bretons à leur juste valeur. Qui sait qu’environ un tiers de l’économie et des emplois bretons dépend de leur travail ? Cette population complexe et bigarrée a été parfois attaquée de manière inacceptable alors qu’elle exerce un métier des plus nobles (nourrir les hommes). De même, si des erreurs ont été commises par exemple au moment du lancement de la PAC en 1962 (les excès d’engrais, un remembrement pour le moins abusif, etc.), on oublie que les paysans bretons comptent parmi les meilleurs au monde. Cela se vérifie pour la production de chair en carcasse comme pour la gestion de l’eau. Fortement impactée par ce problème dans les années 1990, la région Bretagne est désormais visitée par toutes les régions françaises en raison des performances réalisées (diminution de la teneur en nitrates…). En insistant sur la qualité et la traçabilité des productions, la Région fera tout pour valoriser à sa juste valeur et en termes d’image cette profession essentielle au devenir breton. Une autre sémantique sera diffusée (le travail de la terre plutôt que l’agriculture, les entreprises plutôt que les « exploitations » agricoles…). La Région rappellera plus qu’aujourd’hui le rôle majeur exercé par cette profession minoritaire mais présente sur toute la Bretagne et qui participe fortement à l’entretien et à l’aménagement des territoires.
- La Région tentera d’initier une coordination des réseaux agricoles et agroalimentaires bretons pour exercer à différentes échelles des actions de lobbying renforcées. En effet, les réseaux agricoles et agroalimentaires bretons sont particulièrement nombreux : l’ABEA, des réseaux d’industriels privés, le poids des coopératives, le rôle des chambres consulaires et notamment des chambres d’agriculture, les actions des syndicats, les réseaux associatifs. Des liens et actions de lobbying existent déjà. On peut citer par exemple le rôle de Breiz Europe pour relayer à Bruxelles les intérêts de nombreuses sociétés et les intérêts bretons. Agriculteurs de Bretagne exerce aussi un rôle essentiel pour que les Bretons connaissent et soutiennent ce secteur (opération « Tous à la ferme » par exemple).
Toutefois, des rivalités et guerres de chapelles l’emportent aussi maintes fois sur les partenariats. Si des concurrences commerciales se comprennent dans un contexte difficile et peuvent d’ailleurs stimuler certaines activités, ces rivalités oublient toutefois deux éléments essentiels. Le premier est l’originalité systémique d’un secteur où toutes les activités se tiennent (de manière verticale entre l’amont et l’aval, de manière horizontale puisque une filière qui se déploie aide évidemment au développement de l’ensemble). Ainsi, dans ce secteur, la mort d’un voisin n’est jamais souhaitable car elle affaiblit tout le voisinage par un effet domino. Elle restreint l’ensemble des volumes et ne permet plus à la Bretagne de produire suffisamment pour être compétitive au regard par exemple des concurrents allemands et espagnols. Le second point est alors l’originalité productive de cette région fortement spécialisée dans l’élevage et entourée de zones de productions céréalières. Cet élément est fondamental et souvent oublié. Ce qui unit les Bretons doit impérativement l’emporter sur ce qui les divise sous peine d’un effondrement systémique. De manière très souple, la Région tentera donc d’aider à la création de ce réseau majeur défendant les singularités de toute la Bretagne. Ce ne sera pas simple. Mais si les Bretons eux-mêmes ne s’organisent pas pour défendre l’intérêt supérieur d’une région très liée de façon générale aux activités d’élevage, personne ne viendra le faire à leur place. De même, la qualité désormais exceptionnelle de la quasi-totalité des productions bretonnes (dans le lait par exemple, dans le porc, etc.) doit permettre d’appuyer l’idée d’une région mondiale singulière et reconnue par la traçabilité et l’excellence de ses produits. Chacun en profitera mais cette réalité ne pourra exister que si chacun joue le jeu pour faire gagner le collectif en valorisant tout simplement l’existant. - Dans ce cadre, à l’échelle régionale, il faudra aussi contrer des débats stériles opposant de façon pour le moins simpliste les « bio » aux intensifs, les marchés locaux à l’export… Ces visions duales et caricaturales oublient l’incroyable arc-en-ciel des systèmes productifs et exercent un effet déplorable sur le consommateur qui n’y comprend plus rien. La force de la Bretagne, c’est précisément qu’il existe différents systèmes et marchés et que ces derniers sont complémentaires. Comme de manière nouvelle, la gestion des aides européennes s’exerce à l’échelle régionale (en gros 780 millions d’Euros sur la période 2014-2010 avec notamment les leviers des FEDER et FEADER), le prochain Conseil régional déclenchera des projets rassembleurs dans les territoires pour restreindre ces oppositions stériles et heurts liés aux différences de conviction. Au-delà des seuls acteurs du pilier agroalimentaire, il est clair également que ces réussites seront corrélées ou non à la capacité d’étendre une perception parfois « agricolo-agricole » aux autres acteurs économiques. On pense par exemple à l’enjeu de la production énergétique et notamment de la méthanisation dans les fermes, au formidable challenge des économies d’énergie dans les bâtiments agricoles et les usines agroalimentaires. On pourrait aussi évoquer la valorisation des bois, des bordures et des talus, de certains déchets qui sont plus sûrement des co-produits… N’oublions pas qu’en Allemagne, les agriculteurs gagnent 30 % de leurs revenus en produisant de l’énergie et la Bretagne est sur ce sujet très en retard. Pour renforcer un développement systémique et non délocalisable, l’ouverture vers d’autres professionnels est indispensable (on peut notamment penser aux industriels travaillant dans le domaine énergétique, aux banques pour rendre possibles les investissements, aux activités bretonnes de TIC travaillant sur l’automatisation et la robotisation, aux corps de métiers de la construction et du bâtiment…). Ce pilier agroalimentaire considérable est parfois trop isolé. Il doit être un réacteur cristallisant et agglomérant autour de lui d’autres activités régionales pour être encore plus indispensable.
- Dans ce cadre, la Bretagne bataillera pour être une terre d’expérimentation et limiter la multiplicité des contraintes, des contrôles, des normes. Ce secteur suradministré est victime d’une bureaucratie étouffante qui limite les capacités d’entreprendre (on compte désormais en France un fonctionnaire par paysan). Il est invraisemblable de voir des initiatives vertueuses retardées pendant des années et parfois totalement bloquées en raison de la complexité des procédures. Fin 2013, il existe ainsi 150 usines de méthanisation en France (28 en Bretagne) contre 7 700 en Allemagne (2 400 en Bavière). Si les choses bougent quelque peu depuis 2014 (une centaine de projets référencés en Bretagne), il est évident qu’il faut en cesser avec ces distorsions de concurrences issues d’une administration pléthorique, coûteuse et rouillée ; avec aussi un centralisme énergétique pour le moins excessif qui détruit les initiatives locales et les empêche de se développer. Rappelons aussi l’action de plus en plus fréquente de minorités de riverains freinant pour des raisons personnelles l’essor d’entreprises irréprochables au plan environnemental (l’échec successif de la Sill à Plouvien puis Milizac…). L’entreprise va désormais tenter de créer sa tour de lait à Guipavas pour créer immédiatement 80 emplois, à terme 150 emplois. A l’instar de projets réalisés au Danemark, aux Pays-Bas ou en Allemagne qui ont réussi car ils associaient les citoyens et riverains aux projets, la Région mettra en place une task-force pour favoriser l’acceptabilité des implantations de finalité économique. On développera aussi, lorsque c’est possible et au-delà de la seule filière bio, des groupements d’agriculteurs pour assurer la transformation et des ventes plus directes.
- Concernant plus précisément le territoire breton, une attention particulière sera accordée à la préservation du foncier et à la valorisation agricole. Dans le premier cas, on sait que l’artificialisation des terres est excessive. Elle a environ entraîné en France la suppression de l’équivalent d’un département en 10 ans. La Bretagne est parmi la plus mal classée et a doublé les surfaces artificialisées en 20 ans. Il faut en arrêter avec ces aberrations liées principalement au déferlement périurbain en périphérie des métropoles. Le rééquilibrage urbain, la revitalisation des bourgs, la densification surtout de ces multiples hameaux si spécifiques à la Bretagne sont des solutions. Il est aujourd’hui inacceptable que la quasi-totalité des Plans Locaux d’Urbanisme interdise des constructions sur les écarts. Cette vision française est étrangère à l’originalité bretonne. En Autriche ou en Allemagne, on développe et on densifie à l’inverse des hameaux écologiques pour éviter la création de lotissements insipides dans les périphéries urbaines. En lien avec l’Etablissement Public Foncier de Bretagne, une bagarre sera ainsi menée par la Bretagne pour que l’aménagement de son territoire corresponde à la singularité et à la pluralité actuelle de son occupation. La Bretagne n’est pas une terre d’openfield mais une terre de bocage. La valorisation du foncier agricole n’existera pas sans la mise en place d’une stratégie adaptée à la singularité paysagère de notre pays. Soulignons enfin, sur ce sujet, que la Région renforcera la sensibilisation des maires des communes les plus agricoles qui, statistiquement, proposent des terrains à construire bien plus vastes. Ces communes parfois fragilisées au plan démographique sont heureuses d’accueillir de nouveaux habitants et ont paradoxalement, selon différentes enquêtes, une faible conscience des enjeux du foncier agricole. Ils se disent qu’il y a de la place. On a entendu certains maires dire qu’ils n’avaient pas « d’entreprises » sur leurs communes alors qu’ils avaient une bonne quinzaine d’exploitations agricoles ! Le changement de regard et de discours est essentiel pour démontrer le poids considérable de ces activités aujourd’hui sous-estimées.
- Enfin, la Bretagne pèsera au maximum pour que la « patte » et la singularité agricole et agroalimentaire bretonne soient mieux reconnues. En Bretagne, la qualité productive attire des investisseurs internationaux majeurs (Synutra à Carhaix pour le lait) et l’on n’en parle pas ou peu. Le salon international du Space, rencontre planétaire majeure pour l’élevage, est un événement exceptionnel au Parc des expositions de Rennes mais se présente comme hors-sol. Il n’existe même pas un seul drapeau breton aux entrées de cet événement qui attire pourtant les professionnels du monde entier. Ne serait-il pas temps de communiquer pour affirmer enfin la Bretagne comme une des terres mondiales les plus performantes dans le domaine de l’élevage ? Des salons à Barcelone affichent clairement et partout la griffe catalane pour plus de performances et de notoriété. En Bretagne, des événements majeurs ne sont même pas estampillés.
En conclusion, ce dossier agricole et agroalimentaire est essentiel. Il montre d’une part l’importance cruciale d’une population minoritaire et parfois négligée, sinon maltraitée. Il évoque d’autre part six pistes d’actions complémentaires qui peuvent faire gagner la Bretagne. Ces actions nécessitent un vrai plan stratégique car elles s’exercent de l’échelle internationale (la promotion d’une production exemplaire) à l’échelle locale (la valorisation du foncier). Elles incitent surtout à conforter à l’échelle bretonne la puissance et la cohérence de ce secteur majeur. Cette action passe par le renforcement de la compétitivité régionale. Cette dernière attend la liberté pour entreprendre, la valorisation de ses productions, des liens élargis à d’autres secteurs d’activités pour faire de l’agroalimentaire breton la fierté et le pilier de notre développement futur.
Le Comité de Rédaction
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