Le dossier 14 de construirelabretagne.bzh pose la question des enjeux du vieillissement en Bretagne. Le phénomène est accentué par une surreprésentation des personnes âgées qui viennent s’installer en Bretagne. Ce n’est pas un scoop, pourtant ce tsunami n’a pas été évalué à sa juste mesure. Les devises rentrent, mais les coûts sanitaires explosent et le manque d’anticipation peut conduire certaines zones à la paralysie sociale et économique. La Région veillera à maintenir une réelle mixité intergénérationnelle. Le regard sur les personnes âgées doit changer. Elles ne sont pas un fardeau pour la société si l’on sait leur faire jouer leur rôle de transmetteur, qu’il s’agisse de connaissances, de langues, ou d’entreprises. Cette transmission ne fonctionne pas à sens unique. Là réside son potentiel d’innovation sociale. C’est un troc intergénérationnel et solidaire qu’il faut organiser : je t’aide à te servir de ton ordinateur, tu m’apprends à bricoler…
Dossier 14. Les enjeux du vieillissement
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Dossier 14. Les enjeux du vieillissement
Le vieillissement de la population bretonne est, comme dans d’autres régions, un enjeu de société qui pose de multiples questions de nature économique, sociale, éthique ou touchant à la solidarité intergénérationnelle. Certes, on sait que les compétences « directes » concernant par exemple l’aide aux personnes âgées (A.P.A) sont davantage assurées par les Départements. Toutefois, les mutations générées par cette évolution de la pyramide des âges dépassent de loin des seuls enjeux comptables et invitent à une approche globale pour répondre à des défis (et non à des « problèmes ») parfois redoutables. Le fait que l’espérance de vie augmente fortement révèle en effet les progrès réalisés par nos sociétés (santé, qualité de l’alimentation, hygiène, etc.). Mais le rapport actifs / inactifs évolue de façon considérable et une région comme la Bretagne ne peut ignorer ce sujet, d’autant qu’elle va connaître un vieillissement et une gérontocroissance légèrement supérieure à la moyenne française. Puisque réfléchir au vieillir, c’est réfléchir à son devenir, comment l’institution régionale peut-elle influer sur un épisode démographique majeur qui va, en toile de fond, exercer une influence décisive sur l’évolution d’ensemble de nos sociétés ?
Diagnostic
Définir le vieillissement est loin d’être simple. Avoir 65 ans aujourd’hui n’est pas la même chose qu’avoir cet âge dans les années 1950. De même, il existe des trajectoires et des territoires du vieillir infiniment variés selon que l’on soit seul, en couple, en bonne santé ou dépendant, riche ou pauvre, selon que l’on habite dans le centre-ville ou dans le rural isolé… Toutefois, le vieillissement doit être essentiellement envisagé comme un processus physiologique qui limite les capacités de motricité. Dans une société de vitesse parfois obsédée par « le sacre du temps présent » (Z.Laïdi), vieillir, c’est se déplacer moins vite, s’essouffler plus rapidement, pouvoir moins porter, voir sa santé être fragilisée, son champ de vue se restreindre, finir par être dépendant ou grabataire. En moyenne, la tranche d’âge charnière et cruciale aujourd’hui se situe autour de 80-85 ans. Avant cet âge, les retraités plus jeunes sont davantage des « séniors » et le plus souvent aujourd’hui des personnes en bonne santé, disposant de temps et parfois d’un pouvoir d’achat conséquent. A l’inverse, à partir de 80 ans, on observe statistiquement une baisse accélérée des performances physiques, des problèmes de santé renforcés et la difficulté croissante d’être autonome. La Bretagne est plus que la France concernée par cet enjeu. La baisse de la fécondité y a été plus soudaine. Surtout, si le solde migratoire d’une région désormais très attractive (+ 25 000 habitants par an) s’opère pour toutes les classes d’âges, il existe dans ces flux une sur-représentation des retraités. Ce sont souvent des Bretons un temps exilés qui reviennent au pays. Mais on assiste aussi à de nombreuses arrivées de personnes âgées et souvent aisées faisant le choix de la Bretagne pour de multiples raisons tenant à la « qualité de vie » (la douceur climatique, la beauté des paysages, le civisme d’ensemble des habitants et de moindre violences, l’image désormais favorable de la région, une relative accessibilité foncière notamment lorsque l’on a vendu son bien et quitté Paris, etc.). Cela dit, cette attractivité régionale est très différenciée selon le niveau des revenus. Une étude remarquable des Notaires de Bretagne a démontré que les retraités riches et notamment parisiens s’installaient principalement dans le golfe du Morbihan et sur la côte d’Emeraude. A l’inverse, les retraités plus modestes s’installent fréquemment dans les petites villes et tendent souvent à se rapprocher des bourgs. Un point fondamental du diagnostic est alors de bien dissocier le vieillissement de la gérontocroissance. Un territoire vieillissant voit la part relative des personnes âgées augmenter (par exemple, 24,8 % de personnes âgées de plus de 70 ans prévus à l’horizon 2030 dans le pays de Saint-Malo). De manière différente, la gérontocroissance exprime l’évolution des effectifs en valeur absolue (par exemple : il y aura selon les analyses prospectives 45 000 personnes de plus de 70 ans dans le pays de Rennes d’ici 2030). Ce point est fondamental pour dissocier trois types de territoires et promouvoir des actions spécifiques selon leur singularité. Ainsi, on observe tout d’abord des pays pour l’essentiel littoraux qui vont à la fois être concernés par le vieillissement et la gérontocroissance (le pays d’Auray, le Trégor etc.). A l’inverse, des pays ruraux risquent d’être concernés par un fort vieillissement avec peu de gérontocroissance (en gros le centre Bretagne). Enfin, les grandes métropoles seront concernées par une forte gérontocroissance mais resteront relativement jeunes avec un pourcentage de personnes âgées moindre. Bien sûr, ces scénarios ne sont que prédictifs. Leur prise en compte est toutefois déterminante. La gérontocroissance va être essentiellement un phénomène urbain, le vieillissement risque d’être rural avec des cantons pouvant à terme compter 35 ou 40 % de plus de 70 ans ! Les littoraux seront concernés en simultané par les deux phénomènes, avec de fait des enjeux majeurs pour éviter d’avoir sur les côtes un seul type de population âgée dix mois sur douze. Soulignons enfin que ce phénomène du vieillissement est certainement temporaire (à moins d’une évolution sidérante de l’espérance de vie). On sait en effet qu’il résulte du boom démographique connu par la France entre les années 1944-45 et 1972 (plus de 2,7 enfants par femme). Or, depuis cette date l’indice synthétique de fécondité ondule entre 1,7 enfant par femme et le seuil de renouvellement des populations (2,1). On a donc eu une croissance démographique hors-norme lors des Trente Glorieuses. Elle produit mathématiquement ses effets 60 ou 65 ans plus tard pour les départs à la retraite, 80 à 85 ans plus pour les personnes atteignant le « grand âge ». Ce point crucial a été peu anticipé par les politiques. Toutefois, il était évident que l’on aurait à partir de 2005 (cela s’est vérifié) une explosion du nombre de départs à la retraite. Depuis 2014 environ, on est dans la phase la plus critique où les départs en retraite s’associent à l’envol des dépenses de santé. Enfin, à partir de 2035, les dépenses de santé seront omniprésentes avant un retour relatif à la normale vers 2055. Bien sûr, d’autres éléments peuvent intervenir pour perturber ce schéma (un bouleversement du marché de l’emploi changeant le rapport actifs-inactifs, une évolution inattendue du solde migratoire…). Toutefois, la prospective démographique figure parmi la plus fiable et doit permettre d’anticiper l’avenir pour croiser l’évolution temporelle à celle des différents territoires.
Quel programme ?
Cet actuel « choc des cheveux gris » ou de ce « papy boom » (il s‘agit plus exactement d’un mamy boom) doit conduire à une vision stratégique d’ensemble pour affronter une période historique. La situation doit aussi déclencher des actions très concrètes liant davantage ce monde des séniors aux enjeux économiques et sociaux.
- Tout d’abord, alors que des thèses ont fait la part belle au concept « d’or gris », il est impératif d’avoir une analyse plus mesurée. En effet, la « théorie de la base » prétend que le vieillissement et l’arrivée de nouveaux séniors est une aubaine pour l’essor économique des territoires. Le principe de l’économie résidentielle ou présentielle est désormais fort connu. Elle susciterait une « capture « externe » des retraites et pensions versées par l’Etat central. En somme, l’argent alloué par Paris aiderait à des mécanismes de redistribution (par exemple des vieux aux plus jeunes) et renforcerait ainsi « l’économie domestique », si l’on préfère locale. Or, de nombreux retraités bretons ont toute leur vie travaillé en Bretagne et sont parfois encore engagés. Ils reçoivent tout simplement les dividendes de leurs labeurs. On ne peut pas sérieusement confondre l’organisation centralisée des prélèvements, cotisations puis redistributions … avec une « capture de revenus externes ! ». Les retraités bretons n’ont que l’argent qu’ils méritent. Après, lorsque les populations ayant travaillé dans d’autres territoires prennent leur retraite en Bretagne, le problème se pose différemment. Ils injectent effectivement de l’argent dans l’économie locale. Mais les calculs économiques sont très complexes car cette économie de villégiature peut aussi favoriser l’exclusion des jeunes et restreindre par divers mécanismes l’économie productive. De même, le coût social et sanitaire du vieillissement augmente de manière exponentielle avec l’âge … surtout à partir de 80 ans. Enfin, comme dans certains secteurs du Massif central comme sur des communes littorales, la très forte majorité, voire l’omniprésence de personnes âgées, peut être un frein à l’innovation et à la mixité sociale. L’économie de villégiature peut tuer, comme sur les îles, l’économie permanente. L’île de Sein a vu sa population divisée par 6 en un siècle et 60 % de ses habitants permanents ont plus de 60 ans. Au-delà d’une pseudo-économie de villégiature, Il ne faut jamais oublier que c’est le pilier productif qui assure l’indispensable redistribution pour rendre à nos aïeux ce qu’on leur doit. Le zoning générationnel et la trilogie évoquée opposant les littoraux, certaines campagnes et quelques villes (où l’on a placé l’essentiel des universités) est un des plus grands défis bretons. Résoudre ces fractures rejoint le propos et les actions proposés dans notre dossier 3 sur l’équilibre territorial : ces dossiers sont éminemment liés.
- Ainsi, dans son organisation territoriale et avec tous les leviers dont elle dispose, la Région administrée cherchera au maximum à favoriser la mixité et la solidarité intergénérationnelle dans les territoires. Elle dispose à ses fins de plus de leviers qu’on croit (choix d’implantation des lycées, action sur le foncier et la mixité sociale via l’Etablissement Public Foncier, appui à certains projets économiques parfois bloqués par une poignée de riverains, campagne de sensibilisation des élus littoraux pour les prémunir d’une stratégie résidentielle trop exclusive, etc.). Bien peu évoquent cette nécessité d’avoir dans les territoires bretons des pyramides des âges relativement équilibrées. Or, il s’agit d’un élément majeur de la cohésion régionale. Cela évite des visions caricaturales et délétères opposant les territoires et les classes d’âges au lieu de les unir.
- Ainsi, la Région lancera un programme spécifique pour instruire un autre regard sur le vieillissement. Aujourd’hui, contrairement à jadis, une forme de jeunisme ambiant fait l’apologie de cette génération qui a aussi ses problèmes et tend à l’inverse à stigmatiser les personnes âgées (le problème du vieillissement, le problème des retraites, il faut les « prendre en charge » et donc ils nous retardent…). Ces visions duales attisent les griefs voire les conflits entre des classes qui parfois se méconnaissent. Or, la Bretagne est classiquement au plan culturel une région où les liens intergénérationnels sont nombreux. Pour des raisons complexes et notamment historiques, les liens familiaux y sont plus forts (on a par exemple plus souvent qu’en France trois générations vivant sous le même toit). Bien plus qu’ailleurs de nombreux regroupements, festivals, fêtes ou danses unissent toutes les générations. On fleurit plus les tombes à la Toussaint, etc. Les Bretons méconnaissent ce terreau. Or, il est un élément clé du vivre ensemble, de la compréhension, du partage des expériences et savoirs… De nombreux enfants apprennent à leurs grands-parents les rudiments d’Internet et ces pratiques permettent d’échanger avec des enfants qui sont parfois au loin. En retour, ces derniers transmettent leurs souvenirs, leurs expériences de vie, leur apprennent des gestes, pratiques et savoir-faire. L’approche généralement clinique des enjeux du vieillissement omet ces réalités plus profondes. La Région pourrait déclencher une forme de plan d’action « ar re gozh / ar re vihan » (les vieux / les jeunes) destiné à encourager les partenariats concrets, échanges de services marchands et non marchands… pour limiter l’érosion de ces liens. De nombreux jeunes retraités s’ennuient alors qu’ils disposent de compétences multiples. Des jeunes accepteraient sans problème d’offrir différents services (faire les courses, donner des cours en informatique, aider au déplacement, etc.) en échange de bénéfices marchands ou non marchands (un logement étudiant moins cher, des cours de bricolage, etc.). A une époque où la société va peiner face au défi du vieillissement, ce recours aux solidarités sera de toute façon indispensable. Si l’on ne reviendra pas à la situation des années 1950 où, rappelons-le, les prestations sociales et sanitaires étaient quasi-inexistantes, l’essor actuel des difficultés devrait inciter à des logiques d’anticipation, d’innovation et à imaginer demain. Or, à notre connaissance, aucune région française ne s’est sérieusement saisie de ces enjeux. La région Bretagne pourrait être pionnière et quitter au maximum l’approche de l’assistanat pour initier, au moins auprès des séniors, des principes gagnant-gagnant. A la façon dont on prend désormais en compte, dans les appels d’offres, le développement durable, il serait bien aussi de se soucier de cet enjeu majeur par trop ignoré.
- Dans ce cadre, l’enjeu économique du vieillissement de la population est crucial. Différentes préconisations ont été effectuées depuis plusieurs années pour lancer en Bretagne une véritable réflexion stratégique sur une société ayant en moyenne dix ou quinze ans de plus. Sans grand succès. L’idée était pourtant d’anticiper ce phénomène inéluctable pour anticiper les marchés de demain. En effet, le vieillissement de la population concerne actuellement l’Europe ou le Japon.
Toutefois, le phénomène va s’étendre dans le monde entier. En Amérique latine et en Asie tout d’abord puis en Afrique. Or, les marchés sont bouleversés par l’évolution de la pyramide des âges. On ne se nourrit pas de la même façon quand on a 70 ans ou 20 ans (les parts de viande sont plus petites, on cherche des produits plus faciles à mastiquer, il faut sur les emballages des caractères plus grands et lisibles, les portions sont différentes car plus de gens vivent seuls, etc.). Dans tous les domaines (bien-être, mobilité…), de nouvelles offres productives vont apparaître. Pour limiter la pénibilité des tâches, on va assister –et on assiste déjà- à une explosion des ventes concernant la domotique ou la robotique (capteurs, assistance, outils techniques facilitant le maintien à domicile…). Avec sa spécialisation dans les TIC, il est dommage que la Bretagne se soit peu engagée dans ce marché certain et dont les débouchés vont être exceptionnels (quand la Chine vieillira !). Mais il n’est pas trop tard. L’an passé, dans son rapport, Bretagne Développement Innovation a décliné certains enjeux concernant cette « silver économie ». La dynamique doit être renforcée en dissociant bien des segments de marchés très différenciés (notamment entre les catégories séniors et grands âges, mais pas seulement) avec de surcroît des innovations qu’il est impossible de circonscrire à des aspects techniques puisqu’elles ont aussi une résonance sociale et éthique. - Enfin, la thématique de la transmission sera privilégiée pour renforcer les passerelles intergénérationnelles. L’étymologie du mot « transmission » (déposer au-delà, traverser au-delà, produire au-delà…) est très riche et impose une relation symétrique. La transmission est trop souvent perçue de façon unilatérale (des vieux vers les jeunes). Or, dans un monde si complexe et qui verse à toute allure, chaque génération apporte aux autres avec, en Bretagne, des enjeux essentiels qu’il faut anticiper. Le premier est celui de la transmission des entreprises avec au moins 11 000 entreprises bretonnes à reprendre d’ici 5 ans, notamment dans le secteur de l’artisanat. Le défi plus large de la transmission des savoirs (des vieux vers les jeunes, des jeunes vers les vieux) est pluriel et touche à la fois aux savoir-faire, aux pratiques culturelles et linguistiques en valorisant l’identité régionale (Bro gozh ma zadoù), à la diffusion chez les vieux des innovations les plus récentes comme à la collecte de leurs témoignages permettant de créer des « banques de souvenirs ». La Bretagne a évolué si vite en 50 ans qu’on laisse partir à vau l’eau certains trésors. Une étude récente a aussi montré que nos sociétés tendaient à minimiser l’esprit d’innovation des plus jeunes, notamment des adolescents, et des personnes âgées, comme si les « actifs » et le pouvoir en place étaient les seuls à être doués d’inventivité. Envisagée de façon plus vaste et symétrique, la transmission assure en simultané la pérennité et la modernisation de la Bretagne. Ce chantier est immense dans une société qui fonctionne de plus en plus en silo.
En conclusion, les compétences régionales et surtout l’organisation des pouvoirs actuels conduisent à minimiser certains enjeux de société. Comme il est transversal et touche tous les domaines, ce défi du vieillissement est finalement peu analysé. Le nouveau Conseil régional ne pourrait-il pas sur ce sujet avoir une action dédiée afin de prendre à bras le corps un enjeu qui va directement concerner une part de plus en plus large des Bretons, impacter indirectement l’essentiel de la vie économique et sociale de la Bretagne de demain ?
Le Comité de Rédaction
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