Il souffle un vent d’optimisme sur le dossier 16 de construirelabretagne.bzh consacré à la maîtrise énergétique sur notre territoire. Si la Bretagne ne produit encore que 11% de son énergie, pour l’essentiel une énergie durable et propre, le potentiel de développement est considérable et des porteurs de projets l’ont déjà démontré dans les faits. Les marées, la houle, le vent, le soleil, le bois… nos alliés naturels ne manquent pas, d’armor en argoat ! Les réalisations pionnières du Mené, de Béganne ou de l’île d’Ouessant montrent la voie. Nous sommes tellement formatés par une vision énergétique française hyper-centralisée que nous avons parfois du mal à y croire. Et si c’était par le bas, par un foisonnement de projets décentralisés portés par les populations locales que l’autonomie énergétique de la Bretagne se dessinait ? La Bretagne a tout à y gagner : économies, emplois, qualité environnementale, image, solidarité…
Dossier 16. La maîtrise énergétique
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Dossier 16. La maîtrise énergétique
Il y a un siècle et par la force des choses, la Bretagne produisait de manière autarcique l’essentiel sinon la totalité de sa production énergétique. Aujourd’hui, elle en importe 89 %. Certes, les besoins ont été démultipliés et il ne s’agit pas de revenir à une « économie de la bougie ». Des procédés techniques du passé (moulins à vent, à marée, usage de la tourbe…) sont obsolètes au regard des besoins contemporains. Malgré tout, ils valorisaient à leur façon la présence d’un formidable potentiel énergétique que l’on redécouvre enfin (la houle, les marées, le bois, le vent…). La Bretagne s’est un temps installée dans une économie de la facilité. Comment renouer avec la production d’une énergie endogène pour créer des énergies écologiques et des emplois non délocalisables ?
Diagnostic
On évoque souvent une « Bretagne tonique », « vivifiante », tout simplement car ici les éléments sont fréquemment turbulents. Située à la pointe de l’Eurasie, la Bretagne est en Europe une des régions qui bénéficient des marées, des courants et des vents les plus forts.
Ce n’est pas un hasard si la première usine marémotrice au monde a été créée sur la Rance et près de la baie du Mont-Saint-Michel, lieu des plus grandes marées européennes. Jadis, la région utilisait également de manière plurielle ses bois et forêts qui jouaient un rôle considérable pour permettre l’autonomie énergétique des habitants. Aujourd’hui, la quasi-totalité des énergies utilisées en Bretagne sont importées et émettrices de gaz à effet de serre. Par défaut d’organisation, on importe aussi environ 70 % du bois que l’on consomme. De très nombreuses habitations sont des passoires énergétiques… On le disait dans le dossier concernant l’agriculture, on compte quelques dizaines d’usines de méthanisation en Bretagne contre 2400 en Bavière.
Si la Région a encouragé des opérations pilotes, sa prise de conscience de l’importance des enjeux est inégale. Après avoir été refusée à Ploufragan, on se lance dans une « usine à gaz » pour le moins coûteuse à Landivisiau (450 millions d’Euros). On privilégie donc encore un « grand projet » qui va plomber la facture énergétique des Bretons. Imaginons en contrepartie l’ensemble des projets locaux et maîtrisés que l’on aurait pu financer avec cette somme… Il faut en arrêter avec ces projets hors-sol pour créer ici des emplois et des valeurs énergétiques non délocalisables afin de maîtriser notre destin. Malgré ces limites, il faut toutefois souligner que l’autonomie énergétique de la Région se renforce quelque peu et que différents projets ont été menés à bien ou préparent l’avenir. Dans le premier cas, notamment grâce à l’action du Conseil régional, l’autonomie énergétique de la Bretagne administrée est passée en quelques années de 6 à 12 %. Les réalisations des parcs éoliens, certaines actions favorisant les économies d’énergie, les progrès timides et aujourd’hui en voie d’accélération concernant la méthanisation… ont bonifié la situation. De même, la Région s’est lancée de façon volontariste dans la promotion des énergies marines renouvelables (E.M.R) avec quelques réalisations emblématiques et pionnières (Sabella à Ouessant) qui peuvent en appeler d’autres. Cela dit, on reste quelque peu obnubilé en France par des projets énergétiques descendants, centralisés ou régionalisés. Il existe une sorte de certitude programmatique considérant que les solutions vertueuses sont nécessairement issues d’une stratégie descendante et planificatrice. La production et la gestion énergétiques françaises sont ainsi les plus verrouillées d’Europe par de grands lobbys nationaux. Un producteur d’énergie locale n’a pas le droit de vendre directement sa production pour écouler la production et satisfaire aux besoins locaux. Victime d’une « cécité énergétique » (V. Debroize), la France est le seul pays européen à perpétuer un centralisme énergétique obsolète, basé notamment sur le nucléaire, au moment précis où des remèdes apparaissent grâce à des acteurs locaux et des réalisations déconcentrées. En Bretagne, les acteurs aiment précisément s’agencer de manière autonome et parfois informelle. Un immense chantier est à ouvrir pour renforcer en simultané l’autonomie énergétique du pays et le pouvoir économique et financier des habitants.
Quel programme ?
- En opposition à une vision centralisée et en lien avec le polycentrisme breton, la marche vers davantage d’autonomie énergétique exige tout d’abord une conviction énergétique renforcée. A une époque où les salaires sont contraints, la valorisation de l’exceptionnel potentiel régional substitue aux importations des forces locales et crée des emplois. Actuellement, 49 % de la consommation régionale sont issus de produits pétroliers que l’on importe puisque la Bretagne ne dispose pas d’énergie fossile. Or, malgré une production pour lors médiocre, 90 % des énergies bretonnes sont à l’inverse produites à partir de ressources renouvelables (les éoliennes, l’usine marémotrice de la Rance, l’essor embryonnaire de la filière bois, les quelques usines de méthanisation, etc.). Muscler les énergies régionales revient donc à améliorer le bilan carbone et à diminuer les gaz à effet de serre. Ce point est essentiel. Il existe ici une corrélation et même un automatisme entre la production endogène et la valorisation des énergies durables. Dans tous les sens du terme, la Bretagne doit développer ses énergies « propres ». En raison de son potentiel pluriel et d’une nature turbulente, elle peut devenir un laboratoire européen pour valoriser ses ressources en tentant de maîtriser l’essentiel de la chaîne. L’exigence énergétique est ici une exigence écologique.
- Dans ces conditions, le pouvoir régional doit tourner casaque au regard de projets centralisés et hors-sol (la centrale à gaz de Landivisiau) et à l’inverse promouvoir des projets atomisés en lien avec l’identité du pays. Les ressources de l’argoat ne sont pas celles de l’armor. La Bretagne est aussi en retard pour valoriser l’énergie urbaine alors que des solutions apparaissent pour que les villes produisent aussi des ressources propres (l’éolien, les déchets, le photovoltaïque, l’utilisation des courants…) et surtout animent autour d’elles une ceinture énergétique rurale alimentant des besoins importants. On a vu en Autriche autour des villes se mettre en place de réelles filières réconciliant ville et campagne et permettant d’exploiter le potentiel et les ressources de proximité (le bois par exemple, la méthanisation).
- Pour les prix, des structures comme Enercoop ou l’U.F.C « Que choisir » permettent dans le premier cas de fournir des énergies certifiées durables et dans le second de réduire le coût des factures citoyennes. En Bretagne, l’association Redéo, permet de négocier collectivement des prix réduits au bénéfice des entreprises et du territoire breton. Sur le sujet de la gouvernance, le rôle de la Région sera d’encourager les initiatives ascendantes portées par les populations et qui renforcent l’acceptabilité des projets. Il s’agira d’une part d’aider les territoires à établir un diagnostic froid de la facture annuelle payée au plan énergétique. A terme, le Mené souhaite être un territoire à énergie positive. Pionnier dès 1965, ce pays de 6 500 habitants a estimé sa facture énergétique annuelle a environ 12 millions d’Euros, soit près de 2000 Euros par habitant et par an. Il s’est alors agi de mettre en place les dispositifs très concrets pour exploiter les ressources locales (usine de méthanisation Géotexia, constructions d’éoliennes, lancement d’une filière bois, etc.) et économiser l’énergie. Aujourd’hui, ce petit pays en est à 40 % d’autonomie énergétique et ce procédé, tout en créant des emplois locaux, a allégé la facture de chaque habitant d’environ 900 Euros par an. La démarche semble donc la suivante : un diagnostic le plus exact possible de façon à mesurer les progrès, une utopie, des réalisations adaptées aux singularités territoriales. Les projets collaboratifs et citoyens seront davantage encouragés comme à Plélan-le-Grand, Béganne, Plounérin… plutôt que de lancer ou de parachuter des projets descendants qui attisent les conflits.
- Un enjeu central sera parallèlement de stimuler les économies d’énergie. En raison des particularités et parfois de l’ancienneté de l’habitat, les maisons bretonnes sont plus souvent qu’ailleurs de véritables passoires énergétiques et près de 60 % des dépenses énergétiques sont dilapidées. En s’inspirant de l’initiative Vir’volt à Saint-Brieuc et en créant des prêts garantis selon le principe « win win » développés en Suisse ou en Autriche, on aidera les citoyens à investir dans des prêts certifiés qui, le plus souvent sur une période de 7 à 8 ans, garantissent un retour sur investissement. Les aides cibleront initialement les foyers dénués d’isolation puisqu’avec des sommes et travaux modestes, il est très facile d’économiser 30 à 40 % d’énergie. Il est à l’inverse bien plus onéreux voire impossible d’envisager dans l’ancien des habitations totalement isolées. Une approche pragmatique répondant aux besoins des populations sera préférée à la réalisation d’une poignée de maisons de prestige à « énergie positive » sur lesquelles on communique mais qui n’apporte pas grand-chose à l’essentiel des citoyens. Cette frugalité énergétique aura aussi pour cible essentielle les bâtiments agricoles qui sont souvent anciens et dépassés, tout comme certaines zones d’activités artisanales ou industrielles très énergivores construites dans les années 1970. N’oublions pas aussi, outre ces économies, que l’agriculteur allemand gagne environ 30 % de ses revenus en produisant de l’énergie. Déverrouiller le centralisme énergétique français libérera l’économie des projets et aidera une profession qui en a bien besoin.
- Ainsi, les seules animations quelque peu pyramidales ou planifiées concerneront l’animation des nouvelles filières (éolien off-shore, hydroliennes…) surtout pour assurer un soutien aux producteurs et industriels locaux. Pour le reste, les économies d’énergie et la production décentralisée doivent fuser de partout avec des projets pour l’essentiel menés par les citoyens auxquels il faut faire confiance. La Bretagne en effet se singularise de longue date par le rejet de décisions technocratiques (Plogoff) et un goût pour des projets plus ascendants dont certains ont d’ailleurs été récemment soutenus par la Région. Selon différents auteurs, elle est en France sur ce sujet pionnière (Pierre-Henri Allain, Loïc Chauveau). C’est donc cette voie essentielle qu’il faut, en Bretagne, promouvoir en s’inspirant parfois d’autres initiatives. Au nord de l’Ecosse, les Orcades ont utilisé massivement leurs potentiels marins et éoliens, sont devenus exportateurs et la facture énergétique des habitants a été divisée par quatre en 15 ans. Cette reterritorialisation énergétique est en Bretagne essentielle. Il existe à la clé des milliers d’emplois et surtout des milliards d’Euros à économiser en libérant la production énergétique régionale. Le terreau est immense à la condition de ne pas trop institutionnaliser les démarches et de permettre tout simplement à la population de se prendre en charge pour renouer avec une autonomie énergétique renforcée.
En conclusion, ce dossier énergétique est central. Malgré les verrous et l’obsolescence du centralisme français, on constate que des projets émergent dans des territoires oubliés par l’aménagement du territoire et contraints de se prendre en main (le Coglais par exemple). De même, il faut s’inspirer de multiples initiatives européennes (en particulier dans les pays scandinaves, au Pays-Bas…) pour –sans copier-coller- marier certaines stratégies aux spécificités bretonnes. A noter enfin que l’exemplarité énergétique joue un rôle de plus en plus important sur l’image régionale, notamment auprès d’une classe d’âge souvent éclairée, fortement diplômée et qui prend de plus en plus en compte ces valeurs ou vertus écologiques avant de décider de son implantation.
Le Comité de Rédaction
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