Le dossier 19 de construirelabretagne.bzh explore l’ouverture possible de la Bretagne en pointant plusieurs paradoxes. Bien qu’elle soit culturellement très ouverte au monde, les exportations de la Bretagne administrée ne pèsent que 2,4 % des exportations françaises.
La Bretagne peut mieux faire ! Tant mieux, c’est une formidable opportunité. Mais pourquoi notre région, si évidemment maritime, privilégie-t-elle les exportations vers le continent, supportant ainsi tout le poids de son handicap logistique ? Pourquoi ne parvient-elle pas davantage à faire valoir son excellence qualitative, à mobiliser sa diaspora, à capitaliser sur les jeunes étrangers venus apprendre en Bretagne et sur les jeunes Bretons partis apprendre à l’étranger ? Pourquoi ne valorise-t-elle pas collectivement son identité, à l’instar de l’opération Kaufhof conduite par Produit en Bretagne en Allemagne ? Pourquoi ne mise-t-elle pas sur le croisement industrie-commerce-identité-solidarité pour ouvrir de nouvelles perspectives ?
Dossier 19. L’ouverture internationale.
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Dossier 19. L’ouverture internationale
L’ouverture internationale de la Bretagne est très forte au plan culturel et faible au plan économique, tout particulièrement sans la Loire-Atlantique. Certes les modes de calcul sont compliqués et se font souvent au désavantage de la Bretagne. Certaines exportations bretonnes sont comptabilisées au lieu du siège social des groupes et donc à Paris, ou encore sur le lieu des opérations douanières qui peut être le port du Havre. La sous-traitance exécutée en Bretagne pour des biens destinés à l’exportation, comme les Airbus, mais assemblés hors Bretagne, n’est pas non plus prise en compte. Pour les grands groupes, la notion de l’internationalisation supplante la notion d’exportation : Le Duff, Roullier, Ubisoft, Bolloré… Il n’empêche, la région administrée réalise seulement 2,4 % des exportations françaises et malgré de belles exceptions, de nombreuses PME-PMI ont peu de rayonnement international, ce qui conduit à rechercher des solutions économiques pour muscler l’export. A l’inverse, l’ouverture culturelle de la Bretagne sur le monde est exceptionnelle et se lit dans la pluralité des festivals musicaux ou littéraires (le Festival Interceltique de Lorient, Mondial Folk, les Vieilles Charrues, les Trans Musicales, Les Folles Journées, Etonnants Voyageurs, les Festival des Chants de Marins à Paimpol…). Elle se constate aussi dans les pratiques touristiques (les Bretons vont plus loin que les Français et partent alors pour de plus longues durées), l’importance des jumelages (première région française), le nombre d’associations de solidarité internationale (la région est première en France avec plus de 1200 structures)… Comment combiner cette ouverture d’esprit à une prospérité économique renforcée ? Comment résoudre ce paradoxe d’une région a priori très internationale et qui peine à apparaître économiquement sur cette scène ?
Diagnostic
Il est délicat de faire un bilan de l’ouverture internationale bretonne car les statistiques sont faussées. D’une part, on le disait, des exportations de grand groupes sont comptées au départ de Paris (par exemple à Rungis). La séparation de la Loire-Atlantique du reste de la Bretagne comptabilise au bénéfice de la Région des Pays de la Loire de multiples exportations 100 % bretonnes, notamment dans le domaine agroalimentaire. D’autre part, mesurer avec exactitude le rayonnement international exigerait des indicateurs plus précis, concernant par exemple la notoriété de la région. Certains exagèrent en disant que la Bretagne est « connue partout », ce qui est faux. A l’inverse, à la pointe de l’Eurasie, elle jouit d’une localisation facilement repérable et est plus connue que d’autres. Malgré ici aussi quelques exagérations, il est également exact qu’il existe de très nombreux Bretons expatriés avec une diaspora qu’on n’a jamais animée sérieusement malgré des initiatives constructives (l’O.B.E, la D.E.B, BZH Network…). Globalement, le bilan de l’inscription internationale bretonne apparaît alors largement déséquilibré. En interne, malgré un faible nombre d’étrangers sur ses terres, la Bretagne se caractérise par une ouverture culturelle singulière qui la conduit à multiplier les échanges, jumelages, opérations de solidarités avec d’autres peuples. La région administrée est septième aussi en France pour les Investissements directs à l’Etranger, ce qui n’est pas si mal même si elle très loin d’avoir l’attractivité hors-norme de l’Île-de-France et moins courue que Rhône-Alpes ou l’Alsace. Des salons comme le Space, des événements organisés par B.C.I ou différents colloques scientifiques sont également de dimension internationale et accueillent des visiteurs du monde entier (concernant par exemple les enjeux maritimes). A l’externe par contre, le bilan est bien plus nuancé. D’un côté, des réussites internationales démontrent une ouverture possible (Yves Rocher, Ubisoft, le groupe Roullier, Legris industrie, certains groupes agroalimentaires ou des start-up versées dans les + T.I.C…). De l’autre, il faut rappeler l’excès de charges qui s’abattent sur l’ensemble des entreprises (elles sont deux fois plus élevées par salarié en Bretagne qu’en Allemagne). Dans le dossier 13 consacré à l’agroalimentaire, nous avons insisté sur les problèmes liés à la suradministration, la présence de normes dépassant les plafonds européens, l’incapacité aussi à diversifier ses revenus en produisant de l’énergie. Enfin, l’existence dans d’autres pays d’une main- d’œuvre moins payée ou concernée par le dumping social plombe aussi la compétitivité bretonne. Le pourcentage à l’export (2,4 %) place ainsi la Bretagne en 13e position en France et les résultats ne sont pas bons, même si les échanges progressent quelque peu depuis 10 ans. Moins de 7 % des entreprises bretonnes exportent tous les ans et beaucoup de PME / PMI peinent à déployer un service dédié à l’export et à valoriser leurs produits. Ce chiffre médiocre entre en contradiction avec la présence de productions d’une qualité et traçabilité souvent exceptionnelles. Comment de manière systémique renforcer le rayonnement économique de la région ? Pourquoi la Bretagne dispose-t-elle d’une ouverture culturelle solide et peine davantage à apparaître au plan économique ou commercial ? Ce paradoxe n’est-il pas une aubaine pour jouer une carte singulière ?
Quel programme ?
- Pour l’export, la première question à se poser est ce que représente la Bretagne pour les autres et ce qu’elle a éventuellement à apporter au monde. Ce n’est pas une prétention mais un positionnement. Aujourd’hui, les stratégies bretonnes concernant l’export sont très nombreuses. De multiples études existent « pour muscler l’export », « se développer à l’international », « conquérir les parts de marché », évoquent « la nécessité de chasser en meute » (sic). Ces stratégies d’esprit libéral existent partout et correspondent -qu’on l’apprécie ou pas- à la réalité de la mondialisation. Elles sont indispensables pour certaines entreprises et aujourd’hui bien en place. Nous n’insisterons pas sur ces lois correspondant à la conquête des marchés et ces règles marketing enseignées à l’unisson dans toutes les « business school » planétaires. En se positionnant ainsi, ce qui explique d’ailleurs des réussites, force est toutefois de constater que le résultat global n’est pas bon. La Bretagne fonctionne surtout à l’échelle européenne (à 64 % contre 58 % en France) et utilise très peu la mer. Ce positionnement strictement marchand est d’un côté utile et de l’autre butte sur des réalités d’ores et déjà évoquées (importance des taxes, différentiel de compétitivité, etc.). D’une façon ou d’une autre et pour tenter de contourner l’obstacle, la différenciation bretonne doit donc investir des paramètres d’ordres plus qualitatifs. A ce titre, trois cartes plus personnelles apparaissent : le nom Bretagne, la qualité d’ensemble et traçabilité des productions, une exploration approfondie des liens entre les dynamiques marchandes et celles de solidarités.
- Au plan commercial, à quelle(s) valeur(s) marchande(s) et non marchande(s) doit être associé le mot Bretagne ? Cette question est loin d’être simple. D’un côté, on constate que des sociétés dont les racines sont en Bretagne n’utilisent pas ou très peu la griffe bretonne et ont d’excellents résultats (le groupe Yves Rocher par exemple, Ubisoft…). De l’autre, des initiatives très concrètes affichent très clairement la corrélation entre la qualité des productions et l’appellation régionale. Un exemple emblématique est ce que vient de réaliser Produit en Bretagne dans l’enseigne Kaufhof en Allemagne pendant l’ANUGA, premier salon agroalimentaire européen. L’opération a associé l’image régionale à la qualité d’exception des produits. En mutualisant une promotion qu’aucune PME ne pouvait se payer seule, elle a permis à 15 entreprises de remplir leur carnet de commandes et de conforter ou de trouver des débouchés pour 79 produits sur le marché allemand. C’est bien le meilleur de la Bretagne qui a été mis en avant dans 23 grandes villes allemandes réparties sur tout le territoire. Cette option coordonnée de qualité et de labellisation bretonne semble emblématique des stratégies à réaliser, associant une patte territoriale à l’existence de produits certifiés et reconnus. L’ensemble permet de monter en gamme en associant des produits à une région. Il est du reste significatif que la Région Bretagne et le Comité Régional du Tourisme aient apporté intelligemment leurs concours à cette opération. Soulignons ici l’importance supérieure de ces stratégies partagées en raison d’un très fort tissu de PME / PME qui n’ont pas de temps à consacrer à l’export. Elles composent la vitrine d’entreprises territorialisées et souvent familiales, une marque de fabrique assurant la promotion d’excellents produits disposant d’un ancrage et d’une certification. Autour de l’image bretonne doit être ainsi affirmée une image de qualité, de traçabilité, de sérieux, de fiabilité, de respect des temporalités et des contrats. C’est un travail de longue haleine, mais il existe ici un potentiel qui répond à la réalité des produits et à l’existence d’une forme de fiabilité régionale (voir par exemple les différents indicateurs économiques ou sociologiques évoqués dans l’ouvrage collectif Le défi armoricain, Ed. Coop Breizh).
- De façon encore plus large, les échanges de la Bretagne administrée sont davantage européens (64 % contre 58 % en France). Aujourd’hui, ce positionnement nous pénalise de manière relative par rapport à nos concurrents. Nous sommes en effet à cette échelle et par la route plus loin des grands centres de consommation (la dorsale européenne notamment) alors que la Bretagne, on le disait, est très bien placée au plan maritime (dossier 10). Par un paradoxe qui n’est qu’apparent, c’est aujourd’hui comme par hasard le Finistère et la Loire-Atlantique qui exportent et négocient le plus au loin, l’Ille-et-Vilaine ayant un rayonnement plus européen. Par automatisme, la vision maritime ouvre donc les portes du large et permet d’envisager de nouveaux marchés offrant parfois plus de débouchés (en Asie notamment, mais aussi en Afrique). Ce changement d’échelle est donc important pour n’être plus en périphérie d’un continent mais s’inscrire comme une tête de pont maritime. De manière concrète, cette conception logistique doit s’associer à des transports mutualisés entre les PME bretonnes. Ce que fait aujourd’hui le GIE Chargeurs de la Pointe de Bretagne créé en Finistère est tout à fait intéressant pour éviter que des camions ne circulent à vide ou ne transportent que quelques palettes. En lien étroit avec la Loire-Atlantique, l’ouverture maritime permettra aussi de créer une centralité d’échange et évitera que de nombreux camions exportent aujourd’hui leurs cargaisons mais reviennent à vide.
- De façon voisine, le paradoxe entre l’ouverture internationale de la Bretagne et la médiocrité de ses échanges commerciaux est loin d’être résolu. Il y a quelques années, il avait été réalisé une opération test sur quelques pays (la Pologne notamment) permettant de faire le point sur l’ensemble des échanges existants. L’analyse sur 5 pays tests était certes économique (le listing de toutes les entreprises bretonnes échangeant avec ces pays, l’analyse des trafics portuaires, etc.). Mais il avait été aussi opéré un recensement par pays des actions menées par les collectivités (coopérations décentralisées, jumelages…), de l’ensemble des partenariats scientifiques et programmes de recherche, un repérage précis de décideurs et même d’anciens étudiants de grandes écoles ayant fait leurs études dans les deux pays et occupant désormais des postes stratégiques…
Beaucoup de choses étaient sur la table pour une approche opérationnelle et ciblée tentant de marier économie et solidarité, business et éthique, amitiés et relations professionnelles. Le pari était que l’analyse par pays et l’attache territoriale pouvait favoriser les transversalités. A tort ou à raison, le projet n’a pas abouti en raison d’une approche étanche dissociant les responsabilités économiques des affaires liées à la solidarité internationale. Pourtant, sur des opérations précisément menées par la Région (par exemple pour la promotion réussie des activités laitières dans le Maghreb), on a précisément vu que ces nouvelles approches d’un business intelligent non dénué de réalités humanistes étaient un puissant levier pour conquérir les marchés. En raison de ses particularismes culturels (multiplicités des festivals, première région de France pour les jumelages ou les associations de solidarités internationale, importance supérieure des échanges culturels…), de la performance de ses activités d’expertises et de recherches, la Région dispose d’un potentiel extraordinaire pour une offre dépassant les seules approches marchandes. C’est la Bretagne, « par-dessus le marché ». Cette tentative n’empêchera en rien la présence de relations strictement business, d’autres exclusivement basées sur la solidarité. Observons notamment ce que font les Néerlandais et les pays scandinaves pour des raisons éthiques et pour gagner certains marchés. La solidarité n’est pas l’ennemi de l’économie d’échange. Il existe incontestablement une zone grise à approfondir et à développer pour positionner les Bretons de façon originale, agir en étroite correspondance avec leurs spécificités culturelles. - Enfin, les actions internationales à destination des jeunes seront encouragées. Déjà, on constate qu’ils bougent beaucoup, certaines formations imposant d’ailleurs une année à l’étranger afin de valider le diplôme. Cette ouverture sur le monde doit être renforcée, d’autant qu’elle répond bien à un tempérament et état d’esprit breton souvent propice aux découvertes. A l’inverse, on constate que ces mobilités ne sont pour lors pas utilisées. Si de nombreux étudiants Chinois viennent par exemple en Bretagne, que de nombreux Bretons ou jeunes Européens ont bénéficié du programme Erasmus, il ne semble pas exister un simple listing permettant de garder d’une façon ou d’une autre le contact. L’esprit « promo », la mise en confiance de cette jeunesse, l’utilisation de liens accrus avec les très nombreux Bretons présents dans le monde entier doivent être intensifiés. Certes, comme les Bretons se plaisent partout avec leurs identités gigognes (dossier 18), il est plus difficile d’animer cette diaspora que dans d’autres pays (l’Irlande ou l’Ecosse par exemple). Mais la présence de cette identité bariolée s’inscrit aussi dans une logique de différenciation.
En conclusion, un certain marketing convergent semble aujourd’hui la règle dans le monde et la Bretagne tente d’écrire son internationalisation avec des arguments identiques, des mots formatés et des formations comparables, faisant fi des différences culturelles. Ce choix n’est pas sans fondement puisqu’il semble correspondre à la réalité du « marché ». Mais au vu des résultats peu favorables du commerce extérieur, il faudra toutefois un jour se poser des questions plus profondes sur un meilleur positionnement de la région. Des mots ridicules ont parfois été utilisés (Ouest Atlantique) pour soi-disant faire moderne. On a l’impression aujourd’hui qu’on oublie de communiquer sur certaines réalités, d’agir avec certaines cartes qui, à tort ou à raison, nous caractérisent. La qualité et traçabilité des produits bretons semblent être un élément central et sur lequel il faut appuyer. Mais Il existe aussi d’autres pistes d’actions : le professionnalisme, le sérieux, la cohérence de A à Z, l’ouverture et la solidarité, l’affichage renforcé de nos singularités.
Le Comité de Rédaction
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