Économie bretonne, sans usines pas d’emploi.
Pas d’usine pas d’emploi, c’est aussi simple que cela. Et c’est l’épine dorsale du cinquième dossier de construirelabretagne.bzh. On a trop longtemps cru que l’économie résidentielle serait notre eldorado. Cette vue de l’esprit n’a pas résisté à l’épreuve du feu.Les services ont besoin d’un écosystème productif pour s’épanouir durablement. Nous avons la chance de bénéficier en Bretagne d’une solide structure productive, laquelle, en dépit des discours défaitistes, résiste assez bien à la crise. Il est urgent d’en prendre conscience, pour mieux en prendre soin ! La future équipe de la Région affirmera donc une forte conviction industrielle, renforcera les liens avec la Loire-Atlantique en assumant pleinement son rôle d’animateur et d’ensemblier industriel, investira l’économie endogène (énergie, agroalimentaire, algues…), favorisera la consolidation d’un point fort spécifique à chaque pays en lien avec le souhait des populations, encouragera les initiatives ascendantes et les fertilisations croisées. Ces options auront à cœur de marier économie et écologie en prenant soin d’entretenir le polycentrisme qui est la signature de notre territoire.
DOSSIER 5. Le primat de l’économie productive.
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Des fermetures dramatiques et des événements très médiatisés (Gad par exemple, la terrible crise agricole actuelle) donnent l’impression d’un effondrement et des analystes évoquent « la fin du modèle agroalimentaire breton ». Or, les difficultés actuelles, bien réelles, ne se traduisent pas (ou pas encore) dans les dernières statistiques de l’INSEE. Sur le premier trimestre 2015, la Bretagne n’a perdu en tout que 360 emplois industriels, et l’emploi agroalimentaire en a gagné 0,1 % (ce pourcentage est identique sur le dernier trimestre de 2014). Sur une plus longue période, la Bretagne est de très loin la région en France où l’emploi industriel a le moins régressé. En 20 ans, de 1990 à 2011, la Bretagne n’a perdu que 2 000 emplois industriels (de 185 000 à 183 000) quand, dans le même laps de temps, la France en perdait … 1,3 million ! (de 4 720 000 à 3 420 000 soit 59 000 emplois disparus en moyenne par région !). Sur la période plus récente (2012-2014), cette situation est confirmée et 14 % des actifs bretons travaillent dans l’industrie alors que le secteur continue de chuter lourdement en France (désormais 12,8 % des actifs). De manière méconnue, la Bretagne est ainsi devenue la 5e région industrielle de France avec 40 % des emplois concernant l’agroalimentaire. Ce secteur tient tant qu’il existe des paysans mais peut effectivement s’effondrer de manière systémique et catastrophique si ces derniers comme aujourd’hui disparaissent (dossier 13). Ainsi, alors que la France a oublié qu’un territoire qui ne produit pas de biens tangibles et monnayables n’a aucun avenir économique, les Bretons se sont bagarrés, dans un contexte de plus en plus concurrentiel, car ils savent l’importance déterminante de ce secteur d’activité. Une société ne peut pas vivre que de « tertiaire » et de dynamique de « redistribution ». Très utile, l’emploi tertiaire strictement marchand n’existe plus si l’on n’a rien à vendre. Depuis les années 1970, les gouvernements successifs ont eu des visions très servicielles et « tertiarophiles » (80 % de bacheliers etc.). On a délaissé certaines filières professionnelles, négligé l’artisanat et parfois les PME-PMI au profit de grands groupes internationalisés. Pendant ce temps, les Bretons plus pragmatiques faisaient le maximum pour conserver une économie productive et marchande, pilier indispensable pour la prospérité d’ensemble -économique et sociale- d’un territoire. Comment renforcer en Bretagne cette dynamique industrielle pour accompagner l’avenir régional ?
Diagnostic
On a parfois été consterné par des visions « tout tertiaire ». L’avenir était les cols blancs et l’on allait montrer aux Chinois comment cela marche. « Fabriquons ailleurs les produits et l’on contrôlera le business ». Ces concepts prétentieux ont ignoré les réalités économiques les plus élémentaires (si on ne produit pas des richesses basiques, on est mort), même si depuis un lustre environ, le discours commence enfin à changer (le « made in France » etc.). Mais, par exemple avec « Produit en Bretagne », la Bretagne avait, il y a plus de 20 ans, initié ce chemin de « l’impératif industriel ». Malgré un contexte difficile, la région compte deux points de plus d’emplois industriels qu’en France. Plus de 70 000 emplois concernent la filière agroalimentaire, 40 000 les T.I.C avec une région deuxième en France sur le sujet, 17 000 l’automobile avec une situation contrastée (PSA à Rennes, Bolloré à Quimper…), 13 000 emplois enfin la construction et la réparation navales (la DCN à Brest ou Lorient, les chantiers Piriou à Concarneau, certaines activités de plaisance etc.). Au-delà de ces poids lourds, 43 000 emplois industriels réalisent d’autres activités qu’il ne s’agit surtout pas d’oublier : les industries mécaniques, les sciences du vivant avec par exemple le groupe Yves Rocher, les entreprises de plasturgie, celles liées à l’essor des biotechnologies (4e région française), à la mer ou aux énergies marines, etc.
En dehors de quelques grands groupes (Bigard, Triskalia, Yves Rocher, la Cooperl, le groupe Roullier etc.), une originalité bretonne se situe dans l’importance du poids des PME-PMI, voire des TPE. Ces entreprises regroupent la moitié des salariés bretons contre 44 % des emplois en France. Si en Bretagne, le nombre total des E.T.I (entreprises de taille intermédiaire) est inférieur à la moyenne nationale, il est à noter que ce type de sociétés jugées « porteuses » (entre 250 et 5 000 salariés) est surreprésenté dans l’agroalimentaire (23 % des salariés des E.T.I bretonnes contre 5 % au niveau national). Enfin, une autre particularité réside dans la dispersion de l’emploi industriel dans les territoires. Alors qu’ailleurs (Toulouse, Lyon…), les emplois sont souvent urbains, une originalité fondamentale de la région est d’avoir statistiquement bien plus d’emplois industriels localisés en campagne et dans les petites villes qu’en métropole. A titre d’exemples, on peut citer la présence de la S.V.A à Vitré, des abattoirs Kermené à Saint-Jacut-du-Mené, de Sanden à Tinténiac, de Canon à Liffré, du groupe Yves Rocher à la Gacilly, de Doux à Guerlesquin, de la Cooperl à Lamballe, de Bigard à Quimperlé, etc. Cette originalité est fondamentale. Elle participe à la présence d’un territoire polycentrique et permet surtout aux salariés d’avoir un accès commode au foncier (la pression est nettement moindre dans les zones rurales ou les petites villes qu’en métropole) et d’être de fait davantage propriétaires (71 % des Bretons vivent en habitat individuel contre 48 % en France). Ce maillage territorial permet ainsi aux ménages de limiter leurs budgets logements et déplacements (ils habitent plus facilement à proximité de leur emploi). Grâce à cette organisation territoriale, le salaire effectif est moins préempté par des dépenses incompressibles. Ce maillage permet aussi à toute la Bretagne d’être concernée par le fait industriel avec une diversité d’activités certes relative, mais qui limite les risques d’effondrement liés à la présence d’une seule filière (l’automobile à Détroit par exemple). La pluralité économique et territoriale est gage de performance même si cela n’empêche pas la présence de graves difficultés actuelles concernant certaines branches (la filière automobile à Rennes, les difficultés actuelles de l’ensemble des activités porcines).
Quel programme ?
Face à ce contexte ici simplifié, sur quoi peut s’engager un Conseil régional ? Six actions semblent ici déterminantes.
- Tout d’abord, la prochaine équipe doit être animée d’une « conviction industrielle » infaillible, même si –et c’est capital- la collectivité n’a évidemment pas à se substituer aux chefs d’entreprises. Chef de file dans ses compétences pour l’animation économique, la Région soutiendra massivement les entreprises bretonnes à toutes les échelles. A l’échelle internationale, elle augmentera le rayonnement international des entreprises et la notoriété du « made in Bretagne », étant donné qu’il existe ici des savoirs et produits d’exception. Ce sujet est si important que nous lui consacrerons un dossier spécial (dossier 20 : « le rayonnement logistique et l’ouverture internationale »). Mais notons déjà que cette ouverture externe (la conquête des marchés à l’export) peut être considérablement renforcée à budget constant, voire en limitant les dépenses internes de fonctionnement pour gagner en efficacité. Sur ce sujet de la compétitivité, la région Bretagne doit elle-même être une forme d’entreprise et dépasser le seul stade de « l’animation » pour être motrice et démontrer, preuves à l’appui, qu’elle fait bien gagner de l’argent aux entreprises bretonnes. La méthodologie de calcul est sans doute complexe, mais indispensable pour ne pas considérer les budgets de la collectivité comme « allant de soi », mais comme une ressource à laquelle tout un chacun participe car elle dispose d’une légitimité attestée. Dans le même ordre d’idée, à l’échelle nationale, la Région fera tout pour sensibiliser Paris à « l’urgence industrielle » et pèsera au maximum pour simplifier le labyrinthe invraisemblable en France des normes et des contraintes. En France et en Europe, elle tentera d’appuyer la création d’une Europe sociale afin de limiter les écarts de salaires qui actuellement exercent une forme de concurrence déloyale (dans le monde agroalimentaire, pour les entreprises de transport, dans les industries et entreprises du bâtiment…). Dans certains secteurs (énergies renouvelables, méthanisation, par exemple…) la Bretagne exigera un droit à l’expérimentation. Elle réfléchira à l’obtention éventuelle de zones franches pour redynamiser le littoral et certains secteurs actuellement délaissés du centre Bretagne. Le rôle de la Région sera donc moins de réguler que de libérer. Ce point est tout à fait central. Si cette pensée peut sembler libérale, elle est à l’inverse sociale car seule l’économie productive et la production de richesses tangibles permettent les mécanismes de redistribution vers les populations pauvres ou déshéritées. La « conviction industrielle » bretonne n’est pas la mise en place d’un « libéralisme débridé ». Elle est à l’inverse indispensable pour permettre tout simplement « aux entrepreneurs d’entreprendre ».
- A l’échelle régionale, « l’impératif industriel » conduira à des coopérations renforcées avec la Loire-Atlantique, notamment avec Nantes et Saint-Nazaire. Ces liens existent déjà pour de simples raisons de performances (le pôle de compétitivité mer, le pôle Images et Réseaux fonctionne déjà à 95 % à cette échelle…). Toutefois, ils doivent être musclés avec une marque et un label Bretagne clair, des statistiques renouvelées. Il est par exemple inacceptable que la filière de la construction navale, déjà forte en Bretagne administrée, ne prenne pas en compte le pôle de Saint-Nazaire. La région apparaît ainsi nettement moins forte qu’elle ne l’est en réalité. Le nouveau Conseil régional s’engagera à doubler les représentations actuelles (cartographie, statistiques, fichiers des entrepreneurs, etc.) sur 5 départements. Rien ne l’en empêche et ces analyses comparatives permettraient d’activer les liens économiques, de voir concrètement ce que la Bretagne industrielle gagnerait en étant unie. Ce point est important et ne touche pas à l’univers du symbolique. Il n’est pas acceptable qu’une collectivité réalisant plusieurs vœux ou résolutions pour l’unité bretonne produise des informations en courbant uniquement l’échine. Une représentation est aussi ce que l’on « se » représente. En multipliant les partenariats industriels concrets à l’échelle bretonne et en affichant de façon permanente ces comparatifs, le fait précédera le droit. Dans la compétition mondiale, l’avenir industriel de toute la Bretagne exige cette unité et des liens renforcés pour renforcer la compétitivité (notamment à l’export) des entreprises bretonnes.
- Dans ce cadre, la région déclinera certes des axes stratégiques (par exemple ce qui a été réalisé sur la « Glaz » économie et qui est positif) mais surtout jouera le rôle d’un ensemblier pour libérer les initiatives ascendantes. La faiblesse en France des budgets régionaux alloués aux industries (600 millions par an pour l’ensemble des régions françaises contre près de 10 milliards pour les Länder) impose de faire preuve de souplesse et d’inventivité. Il s’agira d’une part de conforter les partenariats existants par filière (les différents pôles de compétitivité etc.). Mais l’action favorisera surtout les « nouvelles transversalités ». L’on sait en effet que l’innovation industrielle procède souvent de la rencontre d’acteurs n’ayant a priori rien à faire ensemble (les industries du plastique et le monde de la santé par exemple). Les liens seront étendus à des sociétés parapubliques voire publiques puisque les opérations de « fertilisations croisées » créent des ponts déterminants, quand bien même les vitesses d’avancement de ces mondes sont très différentes. Ainsi, une méthodologie basée sur la transversalité et l’expérimentation (de type « Bretagne Mobilité Augmentée ») sera déployée pour créer des « réunions actions » et surtout pas des réunions pour se voir. Elles pourront concerner des sujets d’avenir majeurs pour le territoire breton (la santé, défi du vieillissement et développement des TIC, l’animation logistique de l’ensemble de la péninsule qui est aujourd’hui un quai contourné etc.). La « région stratège » (R. Layadi) sera ainsi l’ensemblier pour animer et renforcer les performances industrielles bretonnes. Ici, elle déléguera et soutiendra sans s’y substituer des réseaux, associations et clubs qui font leurs preuves. Ailleurs, elle animera de manière souple des réseaux ouverts ou informels (présidence tournante, etc.) pour dépasser les enjeux de pouvoir afin que des décideurs engagent l’impératif industriel. Plus largement, elle renforcera auprès des élus la promotion d’une fibre ou d’un « réflexe » régional, par exemple pour que nos enfants mangent dans les cantines des viandes régionales et non comme aujourd’hui importées du Brésil ou d’Allemagne…
- Au plan territorial, deux points sont essentiels. En lien avec le sujet évoqué de la gouvernance (dossier 2), la première stratégie sera de favoriser à l’échelle locale l’économie de la réappropriation (énergie, agroalimentaire…) avec des activités qui stimulent et libèrent l’économie endogène. Ces activités de substitution (on produit au maximum sur place pour limiter l’importation de biens) favorisent la compétitivité des entrepreneurs, créent des emplois locaux, limitent la dépendance énergétique des habitants en produisant de l’énergie sur place, augmentant ainsi par un cercle vertueux l’économie des solidarités locales et le pouvoir financier des ménages. Ensuite, comme on l’a évoqué dans le dossier 2, chaque pays cherchera à muscler une ou deux filières spécifiques et lui appartenant. La région, garante d’un fonds de solidarité inter-pays, permettra à la fois la spécialisation et une forme de mutualisation des risques. Elle fera tout pour que dans les différents appels d’offres (y compris pour des études stratégiques), on privilégie des entreprises ou sociétés bretonnes et non externes, comme cela a été le cas.
- De façon à marier écologie et économie, la Région s’engagera à renforcer des activités industrielles en lien avec la singularité du pays (l’élevage, la mer, les algues, etc.). La connaissance fine des spécificités régionales permet en effet de fertiliser l’économie bretonne. Elle offre en simultané des marchés cohérents aux entreprises tout en diminuant les coûts fixes payés par les populations. On peut par exemple citer l’enjeu des économies d’énergie dans les habitations, puisque les entreprises bretonnes du bâtiment cherchent de nouveaux marchés et que nombre de maisons bretonnes sont de véritables « passoires ». Ces stratégies « win win » sont à renforcer pour faire gagner de l’argent à tous. Cette dynamique doit s’étendre pour libérer le potentiel énergétique du pays et touche notamment aux enjeux de la méthanisation. Alors que 30 % des revenus des paysans allemands proviennent de la production énergétique, on en reste ici à la portion congrue (4 000 usines de méthanisation en Allemagne, une quarantaine installées ou en projet en Bretagne). Des « binômes industriels et citoyens » peuvent à la fois renforcer l’économie productive, les filières industrielles et limiter le coût de la vie quotidienne des ménages, ce qui augmentera par là-même leur pouvoir d’achat. On sait aussi que ces projets industriels négociés ou financés par les populations restreignent les conflits d’usages.
- Enfin, dès qu’elle en aura la possibilité, la Région s’engagera à appuyer le polycentrisme breton pour contrecarrer les effets pervers des excès de la concentration métropolitaine. Cette action cruciale concerne la formation (notamment professionnelle), puisque la Région a compétence en la matière ou certains choix d’implantations (lycées par exemple). Il s’élargit à de multiples influences permettant de convaincre et d’inciter les entreprises à s’établir dans les espaces précités (villes moyennes ou petites etc.) afin de limiter les coûts de déplacement et de logements des salariés. L’affirmation du maillage breton est un élément stratégique essentiel pour avancer de façon collective.
Au final, « l’animation ascendante » semble pouvoir être la ligne directrice d’une collectivité qui, de toute façon, ne dispose pas de grands moyens pour agir. En lien avec l’esprit breton qui souvent se méfie des structures trop formelles ou hiérarchiques, l’action régionale visera surtout ici à libérer, animer, déléguer, renforcer la préférence régionale. Une collectivité territoriale n’a pas pour mission de se substituer au pouvoir économique. Convaincue de cet impératif industriel, elle peut à l’inverse permettre aux différents acteurs de marier leurs projets pour plus de prospérité.
Le Comité de Rédaction[/stextbox]
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