Mobilité ou congestion ? Pas besoin d’investir massivement pour rouler malin…
Le dossier 6 de construirelabretagne.bzh propose un regard décalé sur la gestion des mobilités et transports en Bretagne. L’heure n’est plus aux investissements pharaoniques.
On pourra regretter que la LGV bretonne se soit construite à partir du Mans plutôt qu’à partir de Brest, mais c’est ainsi. Désormais les caisses sont vides et il va falloir apprendre à faire autrement. C’est peut-être un mal pour un bien. Car les grands projets supposés structurants passent souvent à côté du quotidien du plus grand nombre. La Bretagne est plutôt bonne élève quant aux nouvelles mobilités : Le TER, Korrigo et BreizhGo sont des réussites. Mais il faudra désormais aller beaucoup plus loin dans l’animation des usages, car le gisement d’amélioration est considérable et n’exige pas d’immenses moyens. Mieux Structurer le covoiturage, utiliser les nouvelles technologies de l’information pour mettre en place une véritable « intelligence territoriale » en créant une plateforme des mobilités citoyennes… Les idées ne manquent pas, ici encore pour faire de la Bretagne un laboratoire d’expérimentation.
DOSSIER 6. La gestion des mobilités et transports.
[stextbox id= »encadrejaune » caption= »Dossier 6/20″ collapsing= »false » collapsed= »false » mode= »css »]
La Bretagne est sans doute une des régions françaises où les enjeux de mobilité sont les plus saillants. Très en retard dans les années 1950, son rattrapage économique est allé de pair avec l’essor des réseaux (le Plan Routier Breton obtenu en 1968 et annoncé par De Gaulle à Quimper en 1969, le port en eau profonde de Roscoff en 1972 etc.). Il en ressort une « obsession du désenclavement » (M. Phlipponneau) et une fascination supérieure pour les « grands projets » (le TGV, Notre-Dame-des-Landes etc.). La question centrale est toutefois de savoir si ces visions techniciennes issues des « Trente Glorieuses » sont encore en phase avec les besoins des populations. En effet, les transports sont certes un élément de vitalité économique et de performance de nos sociétés contemporaines. Toutefois, elles ont aussi un coût. Les grands projets engloutissent des sommes gigantesques que l’on ne met pas ailleurs. Alors que le pays est désormais très bien équipé avec des réseaux enviés par les régions voisines (les voies expresses gratuites par exemple), on peut se demander si l’heure est encore aux réalisations de prestige. L’étiolement des budgets va certainement imposer une limitation drastique de ces « grands » équipements qui profitent surtout de surcroît à une certaine classe sociale élitiste et très mobile. Il va donc falloir faire mieux en ayant moins. Une alternative réside dans la mise en place d’actions pragmatiques pour, au-delà de grands projets, s’occuper du « bruit de fond » de la mobilité quotidienne des Bretons.
Diagnostic
Dans l’univers des transports et de la mobilité envisagée stricto-sensu (on abordera les enjeux du fret et de la logistique lors du dernier dossier), on assiste souvent en France à un puissant décalage entre les décisions politiques et les besoins réels des citoyens. Les élus ont plaisir à lancer et inaugurer des projets emblématiques et très coûteux, laissant ainsi leurs marques dans l’histoire. Mais, engoncés dans leurs problèmes ou les embouteillages, les populations sont parfois à des années-lumière de ces considérations. Ainsi, en Bretagne, l’ensemble des mobilités ferroviaires (TGV et TER) concerne 12 millions d’usagers par an. Mais dans le même laps de temps, la mobilité des Bretons en automobile est de 10 millions de déplacements … par jour ! Or, on engloutit dans le premier cas et souvent avec succès (cf. la forte augmentation du trafic T.E.R dont nous reparlerons) des centaines de millions voire des milliards d’Euros. Dans le second, en dehors de la construction de réseaux routiers (la RN 164 par exemple), on laisse en quelque sorte le citoyen se débrouiller. Ainsi, l’envol du covoiturage par exemple n’a pas été mis en place par les politiques mais par les populations à un moment où le prix à la pompe s’envolait et devenait rédhibitoire pour les ménages.
Ce puissant décalage n’est pas l’apanage des Bretons et tient davantage à des conceptions politiques héritées. Nombre d’élus croient encore aux « mythes du développement automatique » des transports (il suffit de faire une route pour connaître le développement). Or, les scientifiques ont depuis longtemps démontré la complexité de ces « effets structurants ». Certaines autoroutes dans le Massif central auraient permis aux jeunes de partir plus vite et certaines gares TGV « du désert » n’ont pas du tout provoqué les effets escomptés. En fait, tout dépend des stratégies d’accompagnement. Oui, certaines infrastructures favorisent la vitalité économique si elles sont bien conçues. Non, elles ne créent pas un « développement automatique ». Des actions pragmatiques et bien moins onéreuses plaçant le citoyen au cœur des politiques de mobilité peuvent être plus avantageuses.
Ainsi, un point central est de descendre de son nuage pour partir de « l’état des lieux » de la mobilité des Bretons. Dans différentes études, elles sont pour plusieurs raisons spécifiques. Tout d’abord, ils consacrent moins de temps à leurs déplacements que le reste des Français (54,6 minutes par jour contre 56,3 minutes à l’échelle nationale). Cette caractéristique est remarquable puisqu’à l’inverse ils se déplacent plus (3,5 déplacements quotidiens par personne contre 3,1 pour le reste de la France). Cette réalité s’explique par le polycentrisme breton qui limite les phénomènes de congestion. La durée moyenne d’un déplacement est en Bretagne de 15,6 minutes contre 17,9 au plan national. 90,2 % des actifs bretons mettent moins d’un quart d’heure pour aller travailler alors que la proportion est en France régionale de 86,9 % … hors Ile-de-France ou 55 % des actifs mettent plus d’une demi-heure pour rejoindre leur emploi ! Le maillage territorial assure des déplacements facilités. A l’inverse, les Bretons utilisent plus l’automobile qu’au plan national. Ils sont 86 % à se rendre à leur travail en voiture contre 80 % pour la France provinciale. On évoquait ces 10 millions de déplacements automobiles par … jour et voilà la réalité essentielle des mobilités bretonnes. La marche à pied est le deuxième mode de déplacement avec des statistiques équivalentes au reste de la France. A noter que le trafic des cars, dont on ne parlait jamais avant la loi Macron, est de 53,8 millions de voyageurs par an, avec pour moitié un trafic scolaire financé par les départements puisqu’il s’agit d’une compétence obligatoire.
On est donc dans un drôle de monde où chaque collectivité réfléchit davantage à des tuyaux qu’à l’amélioration des usages. Le millefeuille à la française ne favorise pas l’intermodalité. Les Communes s’occupent de la voirie, les Communautés d’agglomération des différents transports en commun (bus, tramway, VAL…), les Départements des routes et des cars, la Région du train, l’Etat des grands projets, etc. Chacun y va ainsi de ses actions, souvent pertinentes d’ailleurs, mais en oubliant l’essentiel. Ainsi, il n’est pas possible de remettre en cause l’action remarquable de la région Bretagne pour les TER (+ 67 % de fréquentation entre 2005 et 2014). De même, en lien avec la croissance urbaine, la fréquentation des bus, tramways, VAL… a fait un bond de 16 % pour atteindre en 2013 130,4 millions de passagers par an. Cela dit, le modèle économique de ces déplacements en commun n’est pas avéré et est même très coûteux pour les collectivités et les entreprises (1,2 milliard pour la nouvelle ligne du VAL à Rennes).
De même, ces chiffres de fréquentation sont à relativiser au regard des 3,65 milliards de déplacements automobiles effectués en Bretagne chaque année. Qui s’en occupe ? Comment, avec moins d’argent, agir sur les mobilités citoyennes ? Rappelons que ces dernières, indispensables au plan économique et social (l’accès à l’emploi, les mobilités professionnelles, les déplacements pour les loisirs, l’accès à la culture…), absorbent aussi en moyenne 18 % du budget des ménages. Le coût des déplacements a doublé en vingt ans. Il est nettement supérieur (jusqu’à 30 % de leur budget) pour les ménages projetés en lointaines périphéries des métropoles.
Quel programme ?
Face à un sujet si complexe, une stratégie en entonnoir peut être évoquée. Elle marie des considérations théoriques à des modalités d’animations concrètes.
- En premier lieu, le Conseil régional doit être convaincu de la fin d’une époque dorée où les investissements coulaient à flot pour créer des infrastructures. Il restera bien sûr des projets à réaliser ou compléter pour tenir les engagements (la RN 164 par exemple). Mais la nouvelle modernité résidera plus dans la transformation des usages que dans la réalisation d’infrastructures. Il va falloir faire avec l’existant et le bilan régional est sur ce sujet très bon. Le maillage des voies express est remarquable et l’axe Triskell par exemple, soutenu par la Région, a permis d’avoir en Centre Bretagne une liaison nord-sud efficace (Saint-Brieuc, Vannes, Lorient). Pour le rail, des contraintes financières identiques vont exister et l’on notera le choix de décisions héritées qui vont marginaliser l’ouest breton. En finançant un tiers de l’opération, on a commencé à construire la LGV à partir … du Mans (!) et non de Brest. On a puissamment modernisé et musclé l’étoile rennaise au-delà (par exemple) de la ligne Brest-Quimper. C’est ainsi et l’histoire ne sera pas réécrite.
- A l’inverse, la nouvelle orientation régionale peut avec succès et avec moindre coût s’orienter vers l’animation des usages. Ainsi, pour renforcer les transports en commun, la carte KorriGo est un bon outil mais doit être confortée pour aider à des déplacements facilités. La création de pass à prix réduits pour rejoindre les Festivals, de BreizhGo, d’une grille tarifaire claire pour les TER, etc ont aussi été des actions emblématiques pour aider notamment les jeunes à prendre les transports en commun. De bien belles actions sont construites et il faut applaudir des deux mains ces initiatives, quand bien même la complexité administrative française et les enjeux de pouvoirs limitent leurs optimisations. A ce titre, toujours pour les transports collectifs, il faut souligner la récente Loi Macron mettant en concurrence les transports par car et par train sur des distances supérieures à 100 km. Cette décision demandée depuis longtemps par les Bretons change la donne et est bien adaptée au maillage régional. Elle débloque une situation ubuesque où la simple concurrence entre les opérateurs de transports n’était pas permise (fin 2014, 110 000 voyages en car en France contre … 20 millions en Allemagne et 30 millions au Royaume-Uni !). Cet obstacle levé renforce déjà des liaisons interurbaines effectives, telles le Rennes-Nantes. Toutefois, le seuil des 100 km reste pénalisant pour la Bretagne car beaucoup de villes sont plus proches et des déplacements périurbains ne peuvent pour lors être traités. A partir des ouvertures prochaines permises, éventuellement début 2016 sur ces distances, il va donc falloir réfléchir à des transports facilités entre ces territoires fonctionnant à l’échelle des pays et essentiels en termes de flux. Surtout, le nouveau Conseil régional aura à partir du 1er janvier 2017 compétence pour tous les transports départementaux (en dehors de celui des handicapés) et la responsabilité déterminante du transport scolaire (environ 110 000 élèves par jour !). Ce changement d’échelle, dont on parle peu, est totalement décisif et est à préparer puisqu’il est une formidable opportunité pour renforcer l’efficacité des mobilités quotidiennes. En lien avec les différents acteurs, il est l’occasion d’établir un réel plan stratégique et de faire marcher l’intelligence collective pour un nouveau canevas des mobilités bretonnes. Cette échéance est une occasion historique pour raisonner en termes de complémentarités et non de concurrences (trains et cars par exemple), de réfléchir en termes d’usages et non de prérogatives. Aujourd’hui, différentes études prouvent un essor statistique des liaisons directes de pôle à pôle. Il s’agit de les renforcer pour plus d’efficacité temporelle et éviter par exemple que des cars s’arrêtant partout ne roulent à vide. A l’inverse, des analyses fines prouvent qu’on peut les compléter par des dessertes et un maillage plus local. Un transport à la demande (T.A.D) est parfois plus efficace –y compris en termes d’image- que des cars désertés. On peut aussi fonctionner parfois au cas par cas avec d’autres professionnels pour limiter les coûts (les chauffeurs de taxi par exemple). Le sur-mesure va être déterminant. Le mariage entre les liaisons privées rentables et le maintien du service public est un enjeu éminemment stratégique qu’il s’agit de préparer. Dans ce cadre, les réalités du covoiturage seront aussi mieux traitées. Les études prouvent que ces relations s’effectuent soit de ville à ville à l’échelle régionale (le Brest-Rennes, le Vannes-Nantes etc.), soit par pays (les travailleurs périurbains qui s’associent et covoiturent pour rejoindre leur pôle d’emploi). Au regard de ces pratiques, il n’est par exemple pas normal que la localisation et planification des aires se soient réalisées de façon approximative et sans réelle coordination. Les années 2016-2017 vont être déterminantes pour instruire une nouvelle façon de se déplacer en Bretagne, encore faut-il aborder ces enjeux de façon prioritaire et professionnelle.
- Dans ce cadre, une autre stratégie majeure sera d’organiser les mobilités en agissant sur l’organisation spatiale. En effet, les politiques ont longtemps répondu aux « problèmes » de circulation (congestion, etc.) en créant de nouveaux équipements plutôt que d’agir sur l’agencement territoriale. Or, il est avéré qu’une action préventive sur l’équilibre territorial est nettement moins coûteuse. L’équilibre urbain de la Bretagne sera donc un crédo du nouveau Conseil régional pour limiter les phénomènes incontestables d’exclusions par la mobilité très vifs dans les lointaines couronnes périurbaines avec les conséquences politiques que l’on sait. Pour lors, le diagnostic précédent sur les mobilités des Bretons démontre que ces derniers se déplacent plus facilement et rapidement que le reste des Français. Cette réalité est à conforter et passera par l’affirmation à toutes les échelles d’un territoire polycentrique. A l’instar également des politiques menées par l’Etablissement Public Foncier de Bretagne, on réfléchira plus avant à l’animation des proximités (emplois, commerces, logements, services…), tout particulièrement dans les villes moyennes et les bourgs, d’autant que le vieillissement de la population va limiter les capacités motrices des habitants.
- Aujourd’hui, se mouvoir est de plus en plus lié à l’essor des technologies. Certains services en ligne limitent concrètement des mobilités galères. D’autres, par l’affirmation de l’itinérance (Drive, livraisons à domicile…), limitent les déplacements contraints. De multiples services à distance confortent désormais le maintien à domicile des personnes âgées, même si l’on sait que le curseur éthique entre les relations effectives et virtuelles est très difficile à placer. Il apparaît toutefois que des opérations dématérialisées (le télétravail, la visioconférence, la e.santé, la e.administration…), si elles sont organisées avec finesse, limitent considérablement les déplacements contraints et font gagner de l’argent aux acteurs économiques ou aux ménages (l’inscription en ligne à l’université plutôt que de s’y déplacer, etc.). A l’instar des expérimentations promues par BMA (Bretagne Mobilité Augmentée), l’enjeu des mobilités doit être envisagé de façon pragmatique. Il doit aussi plus qu’aujourd’hui être investi en lien avec le numérique, d’autant que de puissantes sociétés internationales cherchent à court-circuiter les relations locales et régionales pour plus de bénéfices (dossier 8). L’excellent plan « Bretagne à haut-débit » doit ainsi préparer ces interactions, pour que le numérique accompagne les mobilités choisies (GPS, etc.), limite les mobilités subies. Cet enjeu est crucial car l’animation des mobilités de demain procédera moins de la réalisation de grandes infrastructures que de la mise en place d’une véritable intelligence territoriale.
- L’affirmation des mobilités bretonnes n’oubliera en aucun cas les filières industrielles. Pour le seul département d’Ille-et-Vilaine, la filière automobile employait 27 000 salariés mais elle est tombée à 12 000 personnes en 2012 et descend à 10 000 salariés en 2014. Certes, les projets récents (par exemple entre Bolloré et PSA) donnent du baume au cœur et, même si le nombre d’emplois prévus est pour lors modeste, ils peuvent redonner un souffle industriel. Toutefois, comme l’a démontré une étude du Codespar dès 2011, l’automobile en Bretagne s’est, lorsque tout allait bien, quelque peu endormie sur ses lauriers. Elle a minimisé par exemple les enjeux liés à la mobilité décarbonée, a peu misé sur l’animation des usages et des services au moment où les évolutions étaient sidérantes.
- Cela dit à tout problème une solution. Aujourd’hui, des logiques d’acteurs basées sur l’expérimentation s’attachent très concrètement à changer les usages avec des mobilités moins envisagées pour elles-mêmes que dans des logiques d’animation et de développement territorial. Pour demain, l’enjeu de créer une plateforme des mobilités citoyennes nous apparaît très important. Basée sur l’expérimentation, cette plateforme souple mariera les compétences et les process industriels pour bonifier de manière collaborative et ascendante la mobilité des Bretons.
Au final, ce dossier propose, sinon une rupture, tout au moins une profonde mutation dans l’appréhension des mobilités régionales. Au-delà de la création de « tuyaux » parfois fort coûteux, l’enjeu nous semble désormais d’optimiser les équipements existants en multipliant les partenariats. Il s’agit aussi d’agir sur les mobilités en organisant les proximités (polycentrisme, rapprochement dans l’aménagement du territoire des emplois, commerces, services, logements…), de marier aussi les mobilités physiques (marche) ou mécaniques (automobile, train…) aux « mobilités » numériques d’autant que la Région est deuxième en France pour les TIC. L’optimisation des déplacements en lien avec l’affirmation des usages numériques (le télétravail, les livraisons, l’animation du car-sharing, les routes intelligentes, l’essor des véhicules autodirigés, le partage d’information lors des déplacements, etc.) va devenir l’enjeu majeur avec des marchés économiques colossaux. La Bretagne peut donc devenir un laboratoire pour expérimenter dans les territoires de nouveaux usages. Si ces opérations sont des réussites, le savoir-faire du « partage » sera dupliqué, exporté… et l’on agira de manière bien plus concrète qu’aujourd’hui pour optimiser les déplacements des Bretons.
Le Comité de Rédaction[/stextbox]
Télécharger le dossier au format PDF : Dossier 6. La gestion des mobilités et transports