Dossier 9. La Bretagne ? Connais pas…
Le dossier 9 de construirelabretagne.bzh réaffirme la nécessité d’éduquer les jeunes Bretons à la matière de Bretagne. 63% d’entre eux pensent que Nominoë est un navigateur ! Faute de pouvoir adapter les programmes de l’enseignement aux réalités régionales, nos enfants sont orphelins de leur histoire, de leur géographie, de leur culture. Comment s‘étonner alors qu’une fois leur diplôme en poche, ils cherchent fortune à Paris, Londres ou New-York. L’enjeu sera de recréer du lien avec le territoire pendant la période scolaire, en prenant appui sur la société civile et sur les entreprises locales pour s’ouvrir au monde. Un cours de Science et Vie de la Terre en partenariat avec Bretagne Vivante, c’est tout de même plus convaincant… Simple gestionnaire des lycées aujourd’hui, la Région s’efforcera de devenir l’animatrice de cette « éducation régionale appliquée».
Dossier 9. Eduquer à la matière de Bretagne.
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En opposition à de multiples pays européens, la France est, on le sait, rétive aux enseignements régionalisés, à l’apprentissage des langues ou cultures, à la diffusion de toutes informations sur les singularités concernant ses communautés et ses peuples. Malgré quelques rares progrès, cette éducation « indivisible » est un vrai problème de fond, l’Etat central semblant encore considérer en 2015 que l’enseignement des réalités régionales serait une quelconque « menace » pour l’unité nationale ! De fait, les enfants sont orphelins de leur histoire, des spécificités de la géographie régionale ou des singularités environnementales des régions dans lesquelles ils vivent. Pourtant, les enjeux par exemple de l’eau en Bretagne ne sont pas du tout les mêmes que dans le Bassin Parisien ou en Provence. Comme la Région est de surcroît compétente pour la gestion des lycées, comment agir pour résoudre ce problème central, tout particulièrement dans cette région bretonne ayant des spécificités si marquées ?
Diagnostic
Il est aujourd’hui inacceptable que les jeunes Bretons soient orphelins de leur histoire, de leur géographie, de l’écologie régionale. Pour 63 % d’entre eux, Nominoé est un « navigateur ». Moins d’un élève sur cinq sait ce que fut « le combat des Trente ». Quasiment aucun ne connaît ce qu’a été l’aventure déterminante du C.E.L.I.B et on vous épargne l’ignorance quasi-totale concernant les réalités économiques bretonnes, l’originalité maritime ou industrielle de la péninsule, la compréhension fine de ce qu’est un bocage… Ces lacunes sont coupables pour promouvoir un développement durable ou plus exactement soutenable. Un peuple ne peut pas organiser et aménager de manière pertinente le territoire sur lequel il réside s’il n’en a strictement aucune connaissance. Comment trouver plus facilement un emploi régional si l’on méconnaît les filières présentes ici, les secteurs qui embauchent ? Comment gérer la complexité des littoraux bretons si on ne les comprend pas ? Les catastrophes et inondations récentes de Quimperlé ou de Quimper révèlent des aménagements qui ont parfois été effectués à l’emporte-pièce en oubliant jusqu’à la génétique des lieux (Kemper : confluent). On a artificialisé à l’excès certains lieux, bétonner plus que de raison, oublié les aléas naturels (ici des grandes marées combinées à la présence dans les terres d’averses très soutenues). Au final, des centaines de millions d’Euros de perdus : 32 millions d’Euros de frais d’assurances pour la seule inondation de 2002 à Quimperlé … mais des crues qui se renouvellent en 2014 ! On pourrait aussi évoquer les problèmes sur Redon, Châteaulin, Morlaix, le débocagement excessif qui conduit aujourd’hui à faire marche arrière pour recréer et financer des haies, la présence d’une forêt bretonne inexploitée alors que l’on importe 70 % de notre bois, etc. La kyrielle de ces ignorances dramatiques au plan culturel et économiquement coûteuses serait longue. Elle est d’autant plus paradoxale que c’est la région Bretagne qui finance les lycées et l’éducation de la jeunesse. Toutefois, contrairement à l’Allemagne, l’organisation administrative et rectorale actuelle ne lui permet en aucun cas d’intervenir dans la conception des programmes. De fait, la Région n’agit actuellement qu’à la marge en finançant par exemple Bretagne Culture Diversité ou différents réseaux qui tentent de combler un vide culturel abyssal, indigne d’une démocratie contemporaine et surtout totalement contre-productif.
Quel programme ?
La résolution de ces défis est des plus compliquée, tant la France nie ses cultures et ses identités. Si la Région élabore un plan régional de formation ou de développement des filières professionnelles, elle n’a aucun droit pour influer sur la formation dans les lycées. Elle est uniquement compétente pour la construction, l’équipement et le fonctionnement des établissements. La matière grise lui échappe. Bien que gestionnaire, elle n’est en rien dans le domaine de l’éducation stratège. On lui transfère ainsi tous les ingrédients sans qu’elle puisse faire la cuisine. Quelques actions sont toutefois ici envisageables.
- Tout d’abord, bien sûr, l’enjeu est de batailler pour une éducation minimale à la matière de Bretagne. Des droits sont à gagner pour plus de démocratie. Les Français et les Bretons ne se rendent pas compte de cette situation actuelle, singulière en Europe et qui confine au lessivage des cerveaux. Pourquoi les personnes vivant en Bretagne n’ont-elles quasiment aucun enseignement sur la région dans laquelle ils vivent ? La France est loin de la démocratie et de la valorisation de ses cultures régionales. De manière plus prosaïque, elle écrit son éducation à l’inverse des logiques de développement durable qui démontrent désormais, preuves à l’appui, que les stratégies idoines de développement sont différentes, et parfois même opposées selon la personnalité des territoires. Avec l’ensemble des régions et celles bénéficiant notamment d’une forte identité (le Pays Basque, l’Alsace, la Savoie, la Corse…), la Région bataillera donc au maximum pour promouvoir cette « educaction » du bon sens. Elle fera tout pour résoudre cet orphelinat éducatif, les drames écologiques ou économiques suscités par cet enseignement hors-sol.
- Cet élément est d’autant plus important qu’il crée une attache des jeunes à leurs régions. La Bretagne est, on le sait, la première pour l’excellence éducative. Par contre, beaucoup de jeunes formés ici quittent au final le pays pour aller notamment travailler à Paris ou Londres. Plus le niveau de formation des jeunes est élevé, plus ils quittent notre territoire pour trouver ailleurs les niveaux d’emplois et de salaires qu’ils méritent. L’absence de pouvoir décisionnel breton est ici comme une quadrature du cercle. Les élites bretonnes, pourtant formées avec l’argent des Bretons, émigrent ailleurs pour trouver des emplois en lien avec leurs compétences. Mais, comme ils émigrent, le pouvoir décisionnel breton reste lacunaire. Selon Philippe Julien, on dénombre aujourd’hui en Bretagne environ 75 000 « emplois stratégiques » (4,5 millions d’habitants) … quand Paris en compte 810 000 (2 millions d’habitants) ! Le maintien des forces grises au pays est un enjeu crucial. Résoudre cet enjeu ne peut que passer par une sensibilisation élargie des jeunes aux enjeux bretons. Confronté jadis aux mêmes difficultés, le Pays Basque espagnol a créé une jeunesse polyglotte, basque et internationale, initiée aux enjeux régionaux, mobilisée pour défendre les intérêts économiques du pays.
- Dans la mesure de ses moyens et compétences, la région Bretagne fera tout pour créer une jeunesse inscrite pour plus de bénéfices et de performances dans les réalités régionales. En lien avec les enjeux linguistiques qui sont, rappelons-le, fondamentaux (dossier 4), une stratégie sera d’associer au maximum les performances éducatives aux enjeux de développement de la société civile et économique bretonne. Certes, cette opération est délicate car le monde éducatif (hors filières professionnelles) prend parfois l’allure d’une cathédrale isolée et, malgré des évolutions pionnières, reste peu engagée dans l’action territoriale. Malgré quelques progrès (certains T.P.E par exemple, les rares dispositifs de Langue et Culture Régionale), l’éducation reste donc théorique et hors-sol, ce qui pose aussi des problèmes aux jeunes qui ont du mal à percevoir l’utilité concrète de certains enseignements. A elle seule, la Bretagne ne pourra pas, bien sûr, bouleverser cette pyramide éducative inamovible. A l’inverse, en profitant des singularités sociales et territoriales, trois axes au moins peuvent être développés pour restreindre ce fossé entre le monde économique et la société civile.
- Tout d’abord, la vitalité du tissu associatif ou culturel breton, ainsi que de l’économie sociale et solidaire, devraient permettre plus d’échanges entre les établissements scolaires et la société civile. Il n’est pas normal aujourd’hui que la quasi-totalité des enseignements ignore les réalités territoriales. En retour, nombre d’activités de portée sociale ignorent le monde scolaire, comme si les jeunes n’avaient rien à dire sur le sujet. Cette conception hermétique est préjudiciable pour tous. Restreindre ces difficultés conduit à multiplier les passerelles. Il s’agit d’un côté de lier davantage le monde éducatif à la société civile pour une éducation appliquée (l’enseignement des Trente Glorieuses ou de la construction européenne en lien avec différents acteurs, des cours de Sciences et Vie de la Terre illustrés en partenariat avec Bretagne Vivante, etc.). De l’autre, d’encourager aussi les associations et structures porteuses à se tourner vers les écoles, moins pour y réaliser du prosélytisme que pour demander aux jeunes leurs avis, leur proposer d’inventer des solutions avec leurs regards, leurs nouvelles pratiques numériques… Ne disposant pas de compétence programmatique, la Région pourrait tout simplement organiser différents concours ou prix valorisant les bonnes pratiques, ainsi qu’une plate-forme régionale numérique « educ.bzh » pour permettre tout simplement aux expériences d’être partagées de manière ascendante. Sans être très onéreuse, cette nouvelle ligne budgétaire stimulerait l’éducation appliquée, renforcerait l’animation territoriale, permettrait aux établissements et aux jeunes de s’ouvrir vers le monde réel, favoriserait les liens intergénérationnels, culturels et sociaux, destinés à féconder les initiatives locales.
- Ce procédé sera surtout renforcé avec le monde économique. En effet, quel que soit le niveau d’enseignement, les jeunes dans les filières classiques ne voient jamais une entreprise. La seule exception concerne la troisième avec la présence obligatoire d’un « stage d’observation » dans les sociétés pour découvrir le monde du travail. Bien qu’utiles, ces stages conduisent pour l’essentiel les jeunes à être des spectateurs et non des acteurs du développement économique. Une stratégie proposera à l’inverse aux jeunes et aux écoles différents challenges. Avant d’être malheureusement abandonnée, cette initiative avait été lancée en 2013 avec différents partenaires (le Rectorat, l’Udogec, le groupe La Poste, diverses entreprises, différents lycées ayant accepté de participer à l’opération…). Au début de l’année, en classe de Première puisque ce niveau avait été jugé optimal, des responsables d’entreprises acceptaient de venir présenter aux jeunes leurs sociétés en évoquant leurs activités, leurs actualités, leurs difficultés, leurs défis… Pendant un an, les lycéens passaient alors avec différents enseignants une partie de leur temps à travailler sur la société (cartographie de la localisation des salariés et histoire de l’entreprise avec le professeur d’histoire-géographie, veille Internet en français et en anglais pour analyser la concurrence etc.). A la fin de l’année, des restitutions selon les dires mêmes des chefs d’entreprises « étonnantes, novatrices » avaient été organisées. Les jeunes travaillaient sur du concret, s’immergeaient dans la réalité économique et en prenaient conscience. En retour, les chefs d’entreprises bénéficiaient gratuitement d’un regard externe, parfois décalé, souvent très innovant. Rien n’empêche la Région de relancer ce dispositif simple et créateur de bénéfices pluriels. Des jeunes ont, par exemple, découvert en profondeur la PME dans laquelle travaillaient leurs parents, certains ont proposé des idées inédites reprises en partie ou totalité par les sociétés et partenaires (notamment dans le domaine de la communication). Cet ancrage territorial de l’éducation est tout à fait central pour sensibiliser les jeunes aux enjeux économiques et sociaux de nos sociétés.
- Pour le renforcer, la région Bretagne mobilisera de multiples réseaux (Bretagne Culture Diversité, le C.R.D.P Bretagne, le C.E.S.E.R, la C.R.E.S, les réseaux d’entreprises…) et relayera diverses initiatives parfois associatives pour faire de cet ancrage un axe prioritaire de la prochaine mandature. Il y a quelques années, la Région avait financé un ouvrage scolaire en français et en breton sur l’histoire de la Bretagne. Elle a récemment aidé à la promotion multimédia d’une remarquable « histoire de Bretagne pour tous » produite par J.-J. Monnier et O. Caillebot. Diffusé dans les lycées, cet outil devrait être proposé dans les collèges de Bretagne en lien avec les Conseils départementaux et le C.R.D.P. En offrant à la fois ce genre de productions pédagogiques concrètes et surtout en ayant une vision, la Bretagne confortera son excellence éducative en liant davantage l’univers des connaissances au développement régional. En lien avec les spécificités numériques, la Région réalisera enfin un effort particulier pour la formation et l’équipement informatique des lycées puisque les jeunes sont évidemment très versés dans ces usages qui préparent l’avenir.
En conclusion, cet enjeu éducatif est tout à fait fondamental. Pour lors, malgré les difficultés liées à cette éducation nationale « indivisible », la région Bretagne est davantage un gestionnaire qu’un animateur des dynamiques éducatives. Or, il existe des solutions pour, au plus grand bénéfice des enfants et de la société, compléter ce champ éducatif. La Région peut être pionnière pour cette « éducation régionale appliquée ». Avec des budgets réduits mais une démarche intelligente et partagée, elle peut jouer le rôle d’un réel levier pour que les jeunes participent dès aujourd’hui à la construction de la Bretagne qu’ils animeront demain.
Le Comité de Rédaction
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