BREST – 18 décembre 2014
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les parlementaires et élus,
Mesdames et Messieurs,
Bienvenue en Bretagne, Monsieur le Premier ministre,
La Bretagne de la fin de 2014.
Depuis un an, le travail a été dense. Monsieur le Préfet et ses services ne me démentiront pas… Le 13 décembre 2013, votre prédécesseur, Jean-Marc Ayrault, était en Bretagne pour signer avec nous un « Pacte d’avenir ».
Monsieur le Préfet nous a brossé dans le détail les différentes déclinaisons opérationnelles du Pacte. Je veux ici, en votre présence, Monsieur le Premier ministre, remercier vivement toutes les personnes qui ont, depuis un an, consacré beaucoup de temps et d’énergie à faire vivre cette ambition pour la Bretagne. Quoiqu’en disent ses détracteurs qui, pour beaucoup d’entre eux, l’avaient condamné avant même qu’il ne soit écrit, le Pacte d’avenir pour la Bretagne est en passe de remplir les objectifs que nous lui avions assignés : redonner confiance, faire redémarrer l’économie, endiguer la spirale des plans sociaux, restaurer le dialogue social. Bref, remettre en mouvement un territoire qui commençait à douter de luimême.
Durant cette même année, vous avez été nommé Premier ministre et, vous aussi, vous vous êtes attelé à la tâche pour redonner confiance aux français et poursuivre le travail sur la réforme territoriale, sujet complexe et objet de points de vue contradictoires.
Un homme qui semble vous inspirer écrivit fort bien, dans un essai, à la fin de sa carrière : « Rêver, c’est espérer. Qui ne s’est pas construit un rêve au-dessus de ses moyens, et n’a pas tenté de le vivre, ne se sera pas montré digne d’un passage d’humanité. » C’est Georges Clémenceau, dans le livre « Au soir de la pensée ».
Ce qui préoccupe les Bretons, ce ne sont ni les métropoles, ni les territoires ruraux, ni les conseils généraux et pas même le conseil régional, ce qui anime et parfois agite les Bretons, c’est la Bretagne ! Et ce n’est pas un mince sujet…
En définitive, nous ne demandons pas grand chose et énormément. De la reconnaissance, un peu de la liberté, de la confiance bien entendu sans oublier quelques moyens pour agir.
Vous allez entendre parler pendant vos deux jours en Bretagne de Pacte d’avenir, naturellement, de fonds européens, d’énergies marines, de recherche, de quartiers urbains, de métro. Nous allons même signer de concert un protocole d’engagement.
Soit ! Mais permettez-moi d’abord de vous parler de la Bretagne.
Il faut aimer la Bretagne dans sa complexité, dans sa diversité et même dans son identité. C’est la reconnaissance.
Ne vous méprenez pas, n’écoutez pas ceux qui ont l’identité malheureuse, triste et paralysante. L’identité bretonne est moderne, ouverte, conquérante. Elle est aussi heureuse et démonstrative. J’en veux pour témoins ces centaines de festivals. Combien de milliers de spectateurs, de téléspectateurs à Quimper, à Lorient ou même au Stade de France. Vous avez des Régions qui dépensent des millions d’argent public pour faire du marketing territorial, pour s’acheter une image ou parfois, dépitées, qui théorisent même sur l’intérêt de ne pas avoir d’identité.
Et vous avez des milliers de bénévoles bretons qui hissent le gwen ha du aux quatre coins de la planète. Vous avez plus de la moitié des bateaux qui traversent l’Atlantique pour la Route du Rhum qui viennent de Bretagne. La toile mondiale de l’internet est à deux doigts d’être infestée d’un étrange virus qui s’appelle .bzh
La Bretagne a une identité et ce sont les Bretonnes et les Bretons qui la font vivre, mais sans ostracisme. Croyez-moi, Monsieur le Premier ministre, c’est une excellente nouvelle, parlons identité sans tabou, parlons breton, gallo, basque, corse ou catalan en espérant toujours une Charte des langues régionales ! Chose promise, chose due!
Le pacte répondait à la demande bretonne d’une reconnaissance par l’Etat de ses spécificités, de sa capacité à trouver elle-même les réponses aux défis qui lui sont posés, à son souhait de s’en voir donner les moyens, à sa volonté de simplification des procédures…
Il a ouvert la porte à un dialogue approfondi entre les acteurs régionaux et l’Etat sur les blocages pouvant résulter de certaines réglementations, il faut continuer.
De même, il a ouvert la porte à l’identification des modalités innovantes et différenciées d’organisation pouvant être envisagées en Bretagne pour mieux prendre en compte ses spécificités.
Mais ce Pacte n’est pas une fin, c’est une nouvelle étape dans une dynamique appelée à se prolonger. Son élaboration a suscité une mobilisation collective, au-delà des clivages habituels, autour d’un intérêt commun supérieur. Sa mise en oeuvre doit permettre la poursuite de cette dynamique positive.
Les groupes de travail qui ont permis de formaliser les propositions sur divers sujets comme le plan agri-agro par exemple, ont été maintenus pour le suivi de la mise en oeuvre.
La préparation du contrat de plan doit donner lieu également à un prolongement des travaux avec l’ensemble des partenaires concernés, sur la base des contributions qu’ils ont élaborées et des engagements pris par l’Etat dans le Pacte d’avenir, engagements qui, pour l’essentiel à l’image d’IFREMER, figurent dans le protocole d’accord que nous allons signer.
Enfin, ont été mises en place les instances de travail sur les simplifications et le dialogue social, initiative proposée par le ministre du travail ici même en Finistère voici un an.
Ce Pacte répondait à des urgences, mais il est avant tout un outil pour faire progresser les politiques sociales, environnementales et économiques. La Bretagne enregistre les premières avancées significatives destinées à répondre aux aspirations de décentralisation exprimées par les Bretonnes et les Bretons ces derniers mois. C’était l’un des enjeux forts du Pacte d’avenir.
Après la reconnaissance, la liberté sera mon second mot-clé.
Sur-administration, le reproche monte ; vous est fait ; nous est fait. Souvenons-nous du contexte qui a conduit aux premiers projets de loi débattus. Nous avons pour l’instant une loi de modernisation de l’action publique, une affirmation des métropoles, une nouvelle délimitation des Régions. Mais tout cela répond-il vraiment aux attentes en matière de décentralisation ?
Nous avons pour habitude, ici, d’user de toutes les libertés que les lois nous laissent avec une ambition : faire mieux, plus simple, plus efficace, plus lisible pour les acteurs du développement de la Bretagne et pour nos concitoyens.
Depuis dix ans, la Bretagne a cherché à changer de braquet, à innover, à entreprendre. Là encore, ce n’est pas le conseil régional seul. C’est l’État en Bretagne, ce sont les collectivités, toutes les collectivités bretonnes.
Jean Yves le Drian pourrait mieux en parler que moi : c’est Bretagne Très Haut Débit qui fait de notre territoire avec l’Auvergne la première région à avoir un réel plan de diffusion de la fibre partout, dans tous les foyers.
C’est la première délégation de compétences qui a été signée, cela a été dit, il y a quelques jours par la ministre de la culture et de la communication, Fleur Pellerin.
Ce sont les conférences initiées ici, copiées, parfois ailleurs, ou reprises ensuite par des lois. Sur la mer et le littoral, sur l’énergie, sur l’eau. C’est le Conseil culturel de Bretagne. C’est le B16, réunion informelle et régulière des Présidents de conseils départementaux, des 11 agglomérations bretonnes, sous la houlette du Président de Région.
Monsieur le Premier ministre, la Bretagne n’a pas besoin qu’on lui dise quoi faire, qu’on lui explique comment faire, qu’on la contraigne à faire comme les autres. Elle est consciente de ses atouts, de ses qualités, mais aussi de ses manques voire de ses errements parfois. La Bretagne, plus que d’autres est décentralisatrice, elle veut agir, en liberté et en responsabilité. Aidez-nous à vivre cette ambition !
« Ce qui manque souvent aux sociétés humaines pour aller de l’avant, c’est la confiance en elles-mêmes » inscrivions-nous à la fin du « Pacte d’avenir » en citant Per Jakez Hélias.
La confiance sera le dernier mot-clé de ce bref récit breton. Il faut faire confiance a priori aux collectivités et contrôler a posteriori. Je rappelle que c’était le socle des lois de 1982-1983.
C’est parce que la Bretagne avait des propositions à faire, concrètes et précises, que le Conseil régional de Bretagne, dès mars 2013, a délibéré et voté le rapport sur la décentralisation avec des convictions et des propositions.
Trois convictions donc :
La régionalisation : vous l’avez posée comme une nécessité, Monsieur le Premier ministre, le 10 octobre 2014, dans votre intervention au Congrès des Régions de France, à Toulouse. Elle doit être confortée par la future loi pour la Nouvelle Organisation Territoriale de la République. Mais soyons clairs, il y a une ambiguïté sur le terme de régionalisation.
La clarification des compétences a été l’ambition de tous les textes de lois depuis 1982. C’est, le plus souvent, resté un voeu pieux… La raréfaction des financements publics va plus sûrement y conduire. Nous sommes prêts en Bretagne à aller de l’avant sur cette question. Nous avions proposé de réfléchir à la mise en place d’une mutualisation qui remplacerait,
de manière concertée, le Conseil régional et les Conseils généraux actuels. Parlons-en et objectivons cette question qui, je le sais, fait débat.
La différenciation est une autre de nos convictions. Lors de votre intervention devant le Sénat le 28 octobre 2014, Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré, je cite : « La France est une et indivisible, mais la vision d’une France uniforme avec des territoires identiques est dépassée. »
Nous ne saurions mieux dire. Les spécificités de la Bretagne ont commencé à être prises en compte dans le Pacte d’avenir mais nous pouvons encore progresser. Nous le devons !
Nos propositions :
Pour une réelle clarification des compétences, nous sommes prêts à expérimenter.
La confirmation de la mission stratégique de l’échelon régional a été reconnue par le Pacte d’avenir. Il ne nous manque désormais plus que les moyens de la mettre véritablement en œuvre. Nous sommes naturellement favorables à un SRADT1 opposable qui mettrait en cohérence et donc regrouperait de nombreux schémas préexistants.
Nous plaidons pour un réel droit à la différenciation. Le projet de loi devait prévoir la différenciation réglementaire, c’est-à-dire la possibilité d’avoir une marge d’adaptation de la norme nationale aux réalités locales. Votre prédécesseur, Jean-Marc Ayrault, le déclarait, à Rennes, le 13 décembre 2013 : « Il faut que les lois laissent davantage de marge de manœuvre ici au pouvoir réglementaire que les régions pourront exercer pour adapter les règles aux spécificités des territoires. Cela existe en Corse, je ne vois pas pourquoi cela n’existerait pas en Bretagne ou dans d’autres régions de France ! ». Et bien, allons-y !
Monsieur le Premier ministre, cela s’appelle faire confiance. Il est temps de sortir de l’ère de la tolérance.
Enfin, passons aux choses sérieuses : les moyens. Ceux qui me connaissent commençaient à se demander, va t’il en parler ?
J’y arrive, il y a l’amour, mais aussi les preuves d’amour. Certains prétendent que, quand on aime, on ne compte pas. Je doute parfois.
Depuis un bon moment, j’attends que nous travaillions enfin sur l’autonomie. Je suis un autonomiste !
Je sens que je vous inquiète… Je suis un autonomiste budgétaire ! La décentralisation n’a aucun sens si les compétences exercées par les régions, comme d’ailleurs les autres collectivités, ne sont pas adossées à des ressources appropriées et non à des subsides délégués.
Il faut impérativement que vous mettiez en oeuvre une refonte du système de financement des régions. Le Président et vous-même l’aviez promis. Là encore, nous avons fait des propositions. Nous attendons.
Toutes les collectivités voient leurs moyens augmenter par la revalorisation forfaitaire ou physique des bases. Malgré la diminution des dotations de l’Etat, seules les Régions, qui n’ont aucune autonomie fiscale, sont pénalisées. Un rapport rédigé par Martin Malvy et Alain Lambert le démontre.
Les finances des Régions ont été mises à mal par la réforme de la taxe professionnelle qui les a privées de tout levier fiscal et les a mises sous tutelle financière de l’Etat. Privées de ressources dynamiques et faisant face à des dépenses contraintes inflationnistes (formation professionnelle, TER, …), les Régions ont perdu, sur 2010-2012, 250M€ d’autofinancement par an en moyenne.
Baisser en 2015, 2016 et 2017 les dotations aux Régions reviendra à faire baisser l’autofinancement de près de 1,3 Md€ soit -33%. Les Régions sont l’échelon le plus souple, le moins administré et le plus porteur de dépenses recyclées dans l’économie et au service de la croissance. Contraindre les Régions à baisser leurs dépenses, c’est affecter inévitablement des dispositifs de formation, d’aide aux entreprises, de recherche, de réindustrialisation qui sont pourtant des objectifs partagés avec l’Etat. Les contractualisations du type CPER en témoignent.
La baisse des dotations est peut-être la chasse à la mauvaise dépense, mais c’est aussi le risque de baisser la dépense utile.
Le redressement des comptes de la nation est une nécessité que nous partageons, mais comme le préconisait là encore Clémenceau, il semble plus facile de réformer autrui que soi-même. La décentralisation confie de larges responsabilités aux collectivités. Est-il indispensable de conserver, partout en France, des services déconcentrés de l’Etat dédiés à ces mêmes compétences et parfois tentés d’exercer d’une façon ou d’une autre des prérogatives perdues au risque de freiner les initiatives ?
Circonstance aggravante, la Région Bretagne est structurellement moins dotée que la plupart des Régions de France, nous ne nous résignons pas à cette injustice manifeste qui, au regard de la moyenne de dotation par habitant observée dans les Régions françaises, pénalise la Bretagne de plus de 70 M€ par an !
Réclamer comme nous l’avons fait avec le Pacte d’avenir quelques compensations n’est donc pas illégitime. Nous ne sommes pas, loin s’en faut, les enfants gâtés de la République.
Nous n’accepterons pas non plus un transfert de compétences, sans moyens adaptés. C’est inscrit dans la Constitution, respectons-la ! Nous sommes prêts à travailler avec toutes les collectivités bretonnes pour voir comment faire mieux. C’est un pacte de responsabilité et de confiance breton qui reste à construire. Aujourd’hui, ce Pacte s’inscrit dans la confirmation de moyens financiers contractualisés venant de l’Etat et de l’Europe.
Nous allons signer un protocole qui nous permet, au moment de nous concerter avec les collectivités bretonnes, non pas de signer avec vous le CPER, ceci interviendra au printemps, mais un document confirmant les engagements du Pacte d’Avenir et fixant les financements de l’Etat à partir desquels nous allons élaborer les projets attendus par les collectivités bretonnes.
Nous sommes convaincus que de telles avancées seraient de nature à faire progresser la confiance des Bretonnes et des Bretons envers leurs représentants nationaux ou territoriaux, à renforcer les liens démocratiques qui doivent les unir, et à réimpliquer les citoyens dans la gestion de leurs territoires au service d’un projet collectif.
Monsieur le Premier ministre, nous avons un devoir de vérité et de sincérité. Nous sommes heureux de votre visite en Bretagne, elle était attendue. Nous savons toutes les difficultés de la France, appuyez-vous sur nos quelques réussites.
L’argent investi en Bretagne est plus rentable qu’ailleurs. Nous ne dépenserons aucun argent public pour fusionner, nous n’aurons aucun logo à refaire, aucun nom à trouver.
Nous étions Bretagne, nous sommes Bretagne et nous finirons par être Bretagne, de Brest à Saint-Malo, Rennes, Saint Brieuc,Vannes et Nantes un jour peut être.
Nous aurons des éoliennes en mer, des hydroliennes sous l’eau, un système ferroviaire qui nous permettra enfin de rapprocher Paris de là où tout commence, paraît-il, le Finistère.
Nous aurons peut être des aéroports internationaux, nous croulerons sous les noms de domaine .bzh et notre identité fera votre fierté. La marque Bretagne sera gage de qualité, de respect de l’environnement et sera recherchée à l’international. Les 21 Pays bretons seront le symbole des équilibres territoriaux, de la complémentarité du rural et de l’urbain.
Quand les îles seront les phares avancés de la Bretagne sur les Océans, chercheurs, pêcheurs, agriculteurs, bénévoles, retraités et jeunes construiront encore la Bretagne.
Monsieur le Premier ministre, la Bretagne est un territoire d’avenir et l’avenir est aux territoires. Soyons fiers de la Bretagne !