La venue en Corse de Bernard Cazeneuve et Marylise Lebranchu a été marquée par l’annonce de la Collectivité Unique à compter de 2018. Mais cette annonce faite en réponse à la plus récente des délibérations de l’Assemblée de Corse ne peut masquer l’essentiel : le peuple corse est soumis au « bon vouloir » des gouvernants parisiens, et ce déni de démocratie est tout simplement intolérable.
Il y a en effet un côté « ancien régime » dans les manières de Bernard Cazeneuve. A l’Assemblée de Corse qui délibère, avec tout le sérieux possible et en exprimant des majorités claires au nom du peuple corse, il oppose un silence total et méprisant sur trois sujets sur quatre –co-officialité, statut de résident, réforme constitutionnelle- jugeant ces questions « anti-constitutionnelles », autrement dit relevant du crime de lèse-majesté –ou, plutôt, de lèse-république-, et il lance un « chiche » condescendant sur le seul point qu’il accepte de mettre en débat, la mise en place de la Collectivité Unique de Corse.
Le Peuple Corse, ses élus, sont donc soumis au seul bon vouloir des gouvernants parisiens. Que l’avenir de la langue corse se décide à Paris, alors qu’elle est le patrimoine imprescriptible du peuple corse, c’est tout simplement, et très profondément, anti-démocratique ! Il est inconcevable, au regard des droits collectifs du peuple corse, comme des textes européens et internationaux qui reconnaissent les droits des peuples à l’autodétermination, que la demande de co-officialité de la langue corse sur la terre de Corse, là où elle est historiquement en usage depuis bien avant que la Corse ne soit française, puisse être rejetée d’un revers de manche !
Et tout à l’avenant. Les arrêtés Miot, forme sous laquelle un « droit local corse » a traversé les siècles depuis l’annexion, sont abrogés sans autre forme de procès ou de compensation, alors qu’ils traitent d’un sujet considéré comme prioritaire par la représentation élue du peuple corse, celui de la dépossession foncière. Idem pour le statut de résident. La reconnaissance de la spécificité corse par sa mention explicite dans la constitution est renvoyée aux calendes grecques, et le refus de l’Etat va jusque dans les moindres détails, jusqu’au rejet par l’Assemblée Nationale de l’instauration d’une taxe sur le mouillage des plaisanciers dans les aires marines protégées !
Dans cet océan de refus, l’émergence d’un début d’acquiescement au projet d’une Collectivité Unique pour la Corse en deviendrait presque un miracle en termes d’ouverture politique. En tous les cas c’est à ce mirage que Paul Giacobbi et l’Exécutif de l’Assemblée de Corse semblent vouloir se raccrocher. Certes, rien n’est à négliger et le précédent du référendum de 2003 a démontré que le maintien des Conseils Généraux avait eu pour conséquence de retarder l’avancée des idées neuves en Corse tant ces structures clanistes installent des bastions conservateurs qui enkystent le dynamisme et les progrès politiques. Mais c’est quand même bien peu, bien tard, et bien mal.
En effet, voilà une pleine mandature que l’Assemblée de Corse, sujet après sujet, a défini son plan stratégique. Et tout cela déboucherait aujourd’hui sur la mise en place d’une Assemblée-croupion à élire à titre provisoire en décembre 2015 ! Mais à quel projet politique pourra bien servir cette élection de fin d’année, pour un mandat raccourci, ramené à quelques mois, et avec sur le flanc la persistance de deux Conseils Généraux voués à disparaître mais dont les membres auront été relégitimés par une nouvelle élection ? Tout cela au nom du « droit commun » des régions françaises qui s’impose tel le fait du prince, tandis que le peuple corse n’a aucune prise sur ces décisions qui, pourtant, conditionnent son avenir.
C’est vraiment rentrer dans la réforme à reculons, et s’assurer d’aller à l’échec, que de le faire ainsi par des échéances différées, en renvoyant de plusieurs années le nouveau statut sans réaménager les prochaines échéances politiques. Quel sens a tout ce méli-mélo qui va appeler les Corses aux urnes pour élire des institutions à la disparition programmée ? A quoi servira cet écran de fumée ? Les prochaines élections territoriales doivent de toute évidence installer la nouvelle Assemblée de Corse et non une excroissance rabougrie de l’ancienne. Tout cela va être incompréhensible pour l’électeur, et déstabilisant pour le citoyen corse.
Mais le pouvoir parisien n’en a rien à faire, pourvu qu’il puisse continuer à agir, en Corse tout particulièrement, selon son seul « bon vouloir ».
François Alfonsi
Source : ARRITTI
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