Monsieur le Sénateur / Madame la Sénatrice / Monsieur le Président,
A Nantes, le 27 septembre près de 40 000 Bretonnes et Bretons, tous secteurs de la société confondus, ont manifesté pacifiquement contre la fusion de la région administrative de Bretagne dans un grand-ouest avec les Pays-de-La-Loire, et pour la Réunification des cinq départements bretons. A Strasbourg, près de 20 000 manifestants affirmaient le 11 octobre la volonté de l’Alsace de garder son entité et son identité européenne. Régulièrement, des milliers de Basques, de Catalans, des dizaines de milliers d’Occitans montrent leur attachement à leurs territoires et leurs aspirations à être les acteurs de leur développement bridé par des institutions obsolètes.
La réforme territoriale telle qu’elle est mise en œuvre actuellement relève d’un archaïsme autoritaire dépassé en ce 21ème siècle. Elle met gravement en cause les principes de démocratie, de droits de l’homme et de bonne gouvernance prônés par les instances internationales.
Du sommet de l’État, elle entend imposer des fusions de régions, sans considération pour les réalités économiques et humaines, les sentiments d’appartenance territoriale et les souhaits des populations.
Elle ne constitue pas un progrès, bien au contraire. Elle est un retour en arrière sur les lois de décentralisation de 1982. Elle remet en cause les avancées démocratiques, encore insuffisantes certes, mais dont les élus et les populations s’étaient souvent emparées pour conduire des politiques plus proches des attentes des citoyens et répondre à des besoins en conformité avec une conception participative du développement et de la gestion des territoires. La réforme actuelle obéit à un postulat ultralibéral qui privilégie les métropoles et accentue les fractures territoriales et sociales.
Elle a été construite à l’envers, privilégiant les découpages à une réflexion sur les compétences de chaque niveau de collectivité et nourrissant l’illusion que seule la fusion de régions permettrait d’atteindre une prétendue « taille européenne » et générerait des économies, ce que personne ne croit aujourd’hui (*).
Par contre, la participation des citoyens aux décisions et à leur mise en œuvre, le sentiment d’appartenance à un territoire identifié tels que la Bretagne historique, le Val de Loire, l’Alsace et bien d’autres, sont les moteurs de leur mobilisation, de leur solidarité et de leur vouloir vivre ensemble comme le montrent sans discontinuer tant les différents sondages que les actions portées par la société civile.
Nous savons que des régions artificielles, sans nom, ne créeront jamais de dynamiques même au prix de folles dépenses de communication. ! La force d’une région, ce n’est pas sa taille, c’est sa cohérence, son identité. Les métropoles peuvent s’y appuyer. Serions-nous assez fous pour abandonner ces identités reconnues de par le monde, atouts essentiels pour les entreprises et pour le développement économique ?
La réforme comme elle est dessinée, génère l’exaspération et ne pourra que déboucher sur d’innombrables difficultés d’organisation, de mise en œuvre, et de surcroît à des coûts importants. Elle se heurtera à l’opposition des citoyens.
C’est pourquoi Kevre Breizh, coordination des mouvements culturels représentants de plus de 50 000 membres en Bretagne, associée à différents partenaires dans toute la France et en Europe, vous demande de reprendre cette réforme qui, en l’état, conduit globalement la France à l’échec et au déclin, car elle se fait contre les populations.
Elle vous demande de mettre en chantier une réforme pour une République des territoires qui libère les énergies, comme dans les autres pays européens, au lieu de s’y opposer.
Elle vous demande de mettre à plat la question des compétences, des moyens, et d’engager la suppression des coûteux doublonnages des services de l’État avec ceux des collectivités décentralisées.
Elle vous demande dans l’immédiat :
– d’amender le projet de loi pour réunifier les cinq départements bretons, Côtes d’Armor, Finistère, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique et Morbihan dans une région Bretagne, et de respecter plus généralement les aspirations des populations quant à leur région d’appartenance,
– de mettre également en place un « droit d’option » non verrouillé, à la majorité simple et sans droit de veto de la région de départ pour les départements ou collectivités limitrophes qui souhaitent changer de région administrative.
Croyant en votre bon sens et en votre attachement à la démocratie,
vous assurant de notre très grande attention sur l’expression de votre vote,
Nous vous prions de croire, Monsieur le Sénateur / Madame la Sénatrice / Monsieur le Président, à notre haute considération.
Pour Kevre Breizh,
Le Président
Tangi Louarn
(*) François Bayrou sur le 12/13 de France 3, dimanche 19 octobre :
« On vient d’annoncer une réforme des régions qui est délirante ! Elle ne fera pas une seule économie et elle changera ou bouleversera ce qu’est l’idée même de région. Songez que l’on va mettre Pau, Bordeaux, Limoges et Bressuire dans la même région. Vous croyez que c’est la même région, vous ? Il y a 500 kilomètres entre Pau et Limoges, il y a 500 kilomètres entre Pau et Bressuire. Vous croyez qu’il y a une identité culturelle ? Qu’est-ce que c’est une région ? Une région, ce sont des communautés humaines qui ont la même histoire et la même identité et qui donc choisissent avec la même volonté leur propre destin. Donc tout ceci est en train d’échouer. Il n’y aura pas d’économie, il n’y aura pas de meilleure organisation de la dépense sans une organisation différente et revue ! »