Landerneau, le vendredi 11 juillet 2014
Objet : Non à la fusion Bretagne – Pays de la Loire !
Madame la Députée, Monsieur le Député,
L’espace public est déchiré par un débat sur l’avenir des régions, portant tout particulièrement sur leur redécoupage. Un débat parti sur de mauvaises bases, parce que poussé par un objectif absurde en soi : la réduction par deux du nombre des régions, alors que les régions françaises sont déjà parmi les plus grandes d’Europe. Un débat qui oublie de poser la question essentielle : les régions pour quoi faire ?
Régions technocratiques, ou régions démocratiques ?
Il y a deux grandes façons d’imaginer la région en France. La première est la région administrative (ou technocratique), basée sur une conception descendante du pouvoir. Il s’agit essentiellement de mieux faire fonctionner l’État. La région, dans cette perspective, est avant tout un outil de gestion territoriale au service des élites politiques et administratives. Sa cohérence culturelle, son ancrage historique sont sans importance.
La région politique (ou démocratique) quant à elle, est basée sur une conception ascendante de la légitimité politique, visant à constituer des espaces démocratiques cohérents au service des citoyens. La cohérence culturelle, socio-économique et historique, tous éléments qui participent de la volonté de vivre et construire ensemble, est ici déterminante. Dans cette perspective, la légitimité et la force des régions sont avant tout leur cohérence, leur capacité à être un espace démocratique ; on peut dès lors imaginer des régions de tailles très différentes.
Si les régions actuelles, dessinées dans les années 1950, sont, à la base, des régions technocratiques, les lois de décentralisation, depuis 1982, leur ont donné une dimension démocratique, sans pour autant changer leurs frontières. Les citoyens se sont approprié ces régions de façon très inégale, proportionnellement à la cohérence historique et culturelle de chacune d’entre elles : si 65 % des Bretons sont très attachés à leur région, selon plusieurs études, ce n’est le cas que de 36 % des habitants de la région Centre ou de 41 % des habitants des Pays de la Loire1. De même, les régions cohérentes et ancrées au coeur de leurs citoyens et acteurs ont développé une capacité politique largement supérieure à celle des régions les plus artificielles, transcendant par exemple les rivalités départementales, se projetant collectivement au niveau français et européen.
« Lutter contre l’érosion de la démocratie » ?
Le résultat de ce découpage technocratique risque d’être désastreux pour la démocratie, d’être vécu comme un véritable retour en arrière, créant des régions encore plus artificielles que celles qui existent, encore plus déconnectées des aspirations et de la vie des citoyens. Or tous les exemples européens témoignent que la force des régions ne provient pas de leur taille mais de leurs compétences et budget, mais aussi de leur cohésion et de leur cohérence. Elle vient des citoyens s’ils se reconnaissent dans les institutions régionales, s’ils consacrent la légitimité de leurs élus.
Aujourd’hui la Bretagne est confrontée, à court ou moyen terme, à deux projets antagonistes. Le premier consacrerait sa disparition dans un Grand Ouest, de Brest jusqu’au Mans. Il s’agirait assurément d’une régression démocratique, en créant un niveau territorial abstrait, déconnecté de la réalité, et donc de la citoyenneté, géré par une institution faible et peu légitime. Une telle institution accentuerait le discrédit du politique, ce qui serait désastreux, a fortiori dans le contexte actuel. Cela créerait une région en crise dès sa création, en tensions constantes par manque de cohérence, par rejet citoyen. Bref, un monstre institutionnel ne pouvant représenter pour la Bretagne qu’une régression démocratique, économique et sociale, un anéantissement culturel programmé, la négation de toute une histoire.
La seconde hypothèse au contraire, prône une Bretagne réunifiée – avec la Loire-Atlantique –, dont les institutions départementales et régionale fusionneraient pour former une Assemblée de Bretagne. Tourné vers l’avenir, ce plan vise à constituer une Bretagne forte et légitime, où les citoyens seraient au coeur du projet politique. Cohérente et renforcée, cette Bretagne disposerait des outils pour répondre aux problèmes régionaux, et aurait légitimité en externe parce que portée par une société civile consciente et exigeante. Comme le rappelle avec force Pierrick Massiot, Président du Conseil régional de Bretagne : « Serions-nous assez fous, quand certains dépensent des sommes faramineuses en campagnes de communication pour se forger de toute pièce une identité artificielle, pour renoncer à celle, bien vivante, qui nous vient de l’histoire et qu’ensemble, nous forgeons au quotidien ? »
« Respecter la diversité des territoires » ?
Sans l’ombre d’un doute, une Bretagne à cinq départements serait une région autrement plus efficace qu’un Grand Ouest à neuf départements. Riche de sa notoriété, de sa démocratie, de sa cohérence, de sa légitimité, de ses réseaux, de sa culture, de son histoire, de sa volonté de travailler ensemble, de vivre ensemble, d’avancer ensemble, d’imaginer ensemble. Une personnalité positive, facteur de développement, d’épanouissement de ses habitants, d’ouverture confiante et optimiste au monde, et non une puissance de compétition contre les autres régions de France ou d’Europe. Régression technocratique ou évolution démocratique, l’alternative n’est pas légère !
Mais plus que d’un redécoupage territorial, ce dont les régions ont besoin c’est d’une clarification et d’un renforcement des compétences (y compris, voire surtout, vis-à-vis de l’État), d’une affirmation de leur droit à décider et agir par une reconnaissance d’un pouvoir réglementaire et normatif, et enfin d’un développement du budget et de l’autonomie budgétaire vers un niveau comparable à celui des régions européennes de taille similaire. C’est tout l’enjeu de l’Assemblée de Bretagne, qui met le renforcement démocratique au coeur de son ambition. L’Assemblée de Bretagne c’est la garantie d’une Bretagne respectée, pour une Bretagne forte de son humanité et de sa confiance retrouvée, qui pourra enfin prendre son avenir en main.
En conséquence, le Conseil culturel de Bretagne vous demande expressément de rejeter tout amendement proposant la fusion des régions Pays de la Loire et Bretagne et de permettre au département de Loire-Atlantique de choisir librement sa région d’appartenance dans des conditions véritablement démocratiques.
Je vous prie de recevoir, Madame la Députée, Monsieur le Député, l’expression de mes salutations les meilleures.
Le Président du Conseil culturel de Bretagne
Prezidant Kuzul sevenadurel Breizh
Jean-Bernard Vighetti
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