Le 3 juin dernier, le Président de la République annonçait une réforme majeure, la diminution du nombre des régions et la suppression des conseils et exécutifs départementaux.
En quelques jours une carte du projet était dévoilée. Elaborée par un cénacle parisien où l’on redécoupe des « territoires » pour « gérer » les « populations », l’aspiration citoyenne n’y avait guère sa place, révélant la conception technocratique du projet.
Aussitôt les « barons » régionaux montaient au créneau défendre leurs fiefs, quand étaient ignorées les aspirations citoyennes majoritaires sur cette réforme.
D’abord soumise au Sénat la carte proposée était rejetée.
Par de petits arrangements entre amis politiques, la carte a été remaniée jusqu’au cours de son examen par l’Assemblée Nationale, en session extraordinaire et en procédure accélérée, du 16 au 18 juillet, pour être adoptée, après 35 heures de débats, dans la nuit du vendredi au samedi. À marche forcée, en un peu plus d’un mois, va intervenir une réforme de fond des institutions. On objectera qu’elle émane de la représentation nationale démocratiquement élue.
Les articles 1er sur, délimitant la nouvelle carte puis 2 & 3 réglant le droit d’option des départements et la déterminions des chef-lieux ont été discutés en séances de nuit . Alors que l’Assemblée Nationale compte 577 députés, la carte adoptée par 52 voix sur 87 députés présents, le droit d’option la nuit suivante par 15 voix 37 présents. (1)
Ainsi font la Loi moins de 10% des députés au petit matin, en catimini après une nuit de débats. Quelle majorité !!!
Le droit d’option transitoire donné au départements, exige trois scrutins à la majorité de 60 % des voix, une option illusoire, quand ont sait que le député le mieux élu en 2012, Monsieur AYRAULT, le fût au premier tour avec 57% des suffrages exprimés.
Mercredi, lors du scrutin solennel en séance publique sur l’ensemble du projet ils étaient beaucoup plus nombreux à se prononcer (551 sur 577). Après interventions rituelles d’un représentant de chacun des 7 groupes parlementaires (dont 3 élus des Pays de la Loire), les « godillots roses » de la majorité ont avalisé les travaux d’une poignée de leurs collègues. Le résultat est significatif : Pour 261, Contre 205, Abstentions 85 (1). Voici un texte a adopté par une minorité de parlementaires, 290 ne l’ayant pas voté. Voici l’Assemblée Nationale votant en chambre d’enregistrement des volontés de l’exécutif, comme les Parlements de l’Ancien Régime.
Alors que le taux d’abstention des électeurs augmente de scrutin en scrutin, peut-on s’étonner de cette désaffection citoyenne au vu d’une désaffection encore plus grande affecte les parlementaires dont la mission est de faire la Loi.
Ceux qui voyaient ce projet comme moyen de revigorer la démocratie locale, l’engouement citoyen pour la vie publique seront édifiés de cette image donnée par les élus porteurs de la souveraineté populaire dans leur tâche.
Pour être crédibles, les élus qui crient au loup contre la montée des populismes pourraient réfléchir à leur pratique, sauf à voir triompher ce contre quoi ils prétendent lutter.
Cette démocratie de caste, méprisante pour le peuple qu’elle devrait incarner, relève plus d’une conception féodale de l’Etat que des « valeurs fondamentales de la République » dont d’aucuns se gargarisent quotidiennement dans les medias.
À force de laisser la démocratie se déliter ainsi, craignons que demain elle soit mise en péril par la débandade de ceux qui ont reçu mission de la faire vivre.
Consulter, les citoyens concernés ? Selon le Ministre chargé de la réforme cela créerait un « tohu-bohu » ! Serait-il donc anormal de considérer les aspirations du « peuple souverain » pour organiser le lien social et l’aménagement de son cadre de vie.
Espérer une démocratie de citoyens adultes et responsables, engagés dans la construction et l’avenir de leur collectivité humaine, lieu d’expression, d’initiative et de solidarité, s’y investissant, quand ils en sont aujourd’hui dépossédés, serait donc un rêve ?
Ce scrutin qui adopte le texte en première lecture par le vote d’une minorité de parlementaires tous pressés de prendre des congés au dernier jour d’une session extraordinaire, laisse-t-il un espoir de voir à l’automne s’épanouir une conception plus respectueuse de la démocratie ?
Yann CHOUCQ
© 19 juillet 2014
(1) chiffres publiés au PV des débats sur le site de l’Assemblée Nationale