Cette analyse présente s’appuie sur la conviction que la Bretagne, cette péninsule verte et bleue, cette terre maritime par excellence, ne trouvera son équilibre et sa place que dans le cadre d’un ensemble hexagonal, la France, respectée et valorisée dans sa propre identité régionale : un ensemble de territoires organisés selon l’identité géographique réelle de chaque région formant notre pays.
Cette conviction est partagée par bien des géographes qu’ils soient ou non adhérents à notre association « Géographes de Bretagne ».
Ainsi, sur le plan plus purement géographique, l’identité signifie la cohérence de chaque territoire et de l’ensemble des territoires entre eux, la cohérence des espaces qui se définissent naturellement autour de la mer, de rivières ou de fleuves, de plateaux, de plaines et, bien entendu aussi de tout ce qui constitue la géographie humaine. La Corse par son insularité est un exemple presque parfait, l’Alsace entre Rhin et Vosges en est un autre ou le Massif Central avec l’Auvergne et le Limousin… On pourrait continuer et nous allons, précisément, à travers notre démarche, continuer à rechercher quelle est l’identité possible de nos régions et, par là-même, rechercher cette part essentielle de celle de la France sur laquelle peut et doit se définir la réforme territoriale.
Quelques cartes serviront de support à cette recherche et à nos propositions.
- Le découpage des régions aujourd’hui (carte 1)
Il est essentiellement issu des décrets du 14 mars 1963 portant autoritairement création de 22 régions administratives appelées aussi régions-programme… Après tant d’années, si celui-ci convenait, au-delà du contenu à donner au pouvoir régional, il serait inutile de modifier la carte existante et les limites des régions. Nous en resterions comme pour les Länder allemands, les régions italiennes ou espagnoles, à la situation existante…
Les régions en France, toujours au-delà de l’enjeu de leurs propres pouvoirs, sont, dit-on, trop nombreuses mais aussi, pour plusieurs d’entre elles, mal dessinées. Des analyses rapides, déjà de nombreuses fois conduites, peuvent à nouveau être sommairement rappelées. Elles concernent des régions géographiquement trop restreintes tel le Nord ou peu peuplées telles la Franche-Comté ou la Picardie… Elles concernent des régions mal dessinées tels l’Auvergne et le Limousin qui ne regroupent pas, en étant séparées, le Massif Central, tels le Poitou-Charentes avec une étonnante encoche géographique vers le nord, la région Centre et les Pays de la Loire, espaces composites et qui ne représentent, ni l’une ni l’autre, le Val de Loire pourtant authentique région géographique et humaine… En revanche, des régions ont acquis une réelle identité, véritablement à conserver tels Aquitaine et Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Rhône-Alpes. Il convient d’y ajouter l’Ile de France et la Bretagne, même si leurs limites territoriales sont à modifier par rapport à leur propre identité et à celle, plus globale, de la France. Alsace et Corse ont leur caractère et leur espace propres à préserver en dépit de leur dimension restreinte. Enfin, il paraîtra naturel d’envisager un regroupement de certaines régions à l’image des deux Normandie en préservant ou créant des unités géographiques cadrant avec ces régions regroupées… Issu en partie de ces constats, le projet de réforme territoriale a successivement établi deux cartes redéfinissant la France des régions. Dans ce cadre, le souci de redessiner et de diminuer le nombre des régions était à priori légitime. Ceci découle donc des analyses rappelées. Mais la première carte proposée et fortement défendue notamment par le Secrétaire d’Etat à la Réforme Territoriale, relève d’une incroyable maladresse sinon même d’une profonde incompétence par la négation même de la géographie française. Certains médias nationaux ont qualifié ce travail de « charcutage » du pays (cf. l’excellent article de l’hebdomadaire « Marianne » du 3 juin 2014).
- La réforme territoriale : un premier et très préjudiciable faux pas
Reportons-nous à la carte ci-jointe (carte 2) en soulignant les principales aberrations.
Comment a-t-on pu ainsi proposer la création d’une région issue de la fusion de Poitou-Charentes, Limousin et Centre ? Très vaste, cette région sans la moindre identité, sans la moindre consistance, avait le sud de son espace distant de… 40 km de Bordeaux et le nord, quant à lui, était à la même distance de… Paris ! (au total près de 500 km !)
Seule aberration ? Non ! Au nord-nord-est, le découpage ne valait guère mieux en rassemblant Picardie et Champagne-Ardenne. Ainsi, depuis la Manche (Baie de Somme), cette « entité » n’était guère éloignée de plus de 50 km des premiers contreforts… du Jura !
Le reste était un peu à l’avenant. Ainsi citons l’Alsace qui en dépit de sa belle identité culturelle et géographique disparaissait dans une étonnante Alsace-Lorraine. Le Massif Central était nié dans son incontestable identité géographique (d’un côté le Limousin, de l’autre l’Auvergne).
C’est ce qui conduisait d’ailleurs à la création d’un vaste ensemble autour de Rhône-Alpes sans identité, une sorte de « bloc de la France Auvergne-Rhône-Alpes…). Ce n’était guère mieux pour le Languedoc si méditerranéen avec son improbable mariage avec Midi-Pyrénées. Si quelques régions étaient maintenues ou justement regroupées (ainsi Bourgogne-Franche-Comté), le Nord restait isolé et les Pays de la Loire n’avaient pas grand-chose à voir avec la longue et belle identité du beau fleuve français…
L’exercice aurait été risible s’il n’avait pas officiellement été proposé. Il portait dans son ensemble non seulement une méconnaissance de la France mais, pire encore, une négation de sa géographie et en particulier de sa précieuse géographie régionale qui porte une part de l’âme d’un pays…
- La suite guère mieux ?
Hélas, ce n’est pas le second découpage proposé tout aussi hâtivement quelques semaines après que furent soulignées les aberrations du premier découpage, qui rattrapera réellement le premier ! Il est en effet bâti sur les mêmes erreurs et la même méconnaissance tant de la géographie que de la France elle-même. Si des corrections ont été apportées (la région Nord-Picardie…), les cas de l’Alsace, du Languedoc, de l’Auvergne, du Limousin n’ont pas été pris en compte. Le Sud-Ouest perd son identité dans un autre ensemble mal défini (Aquitaine-Poitou-Charente-Limousin) et la souhaitable région « Val de Loire » ne peut naître en raison de deux régions composites maintenues (Centre et Pays de la Loire).
Il serait bien plus que regrettable pour la France que pour des raisons politiques (les partis, notamment les partis majoritaires, font bloc !) cette carte soit approuvée et donc officiellement adoptée. La volonté de réduire les échelons administratifs ne doit pas se faire au détriment des régions. Ce n’est pas raisonnable de réduire leur nombre (en escamotant leur identité) alors qu’un nombre conséquent (et positivement) de Conseils Généraux sont appelés à disparaître ! C’est visiblement un à peu près, une précipitation, une absence de culture voire même une ignorance coupable qui, une nouvelle fois, a produit un tel travail, un tel découpage de la France !
A moins qu’il n’y ait une volonté délibérée de briser les identités régionales…
- Reconnaître l’identité régionale de la France
Certes, ces propositions sont aussi à discuter, à préciser et à adapter pour parvenir à cette reconnaissance, celle d’un pays qui se retrouve dans l’identité profonde de ses régions.
Ce pays a lui-même en effet une superbe et enviable identité potentielle issue précisément de la diversité et de la richesse de ses régions…
Au nord, une mer « froide » (la Mer du Nord), à l’ouest et au nord-ouest, deux mers tempérées (la Manche et l’Atlantique), au sud, une mer chaude (la Méditerranée). Elles confèrent au littoral une longueur et une diversité remarquables (falaises de craie ou de granit, dunes et plages immenses, marais littoraux, abers, rias, deltas ou estuaires et même mers intérieures telles celles de Brest, de Vannes, d’Arcachon, de Berre ou de Thau… On pourrait continuer là où rien ne semble manquer pas même ses chapelets d’îles au Ponant ou, très au sud, la Corse… Elle dispose (moitié sud-est) de montagnes anciennes (Massif Central et Vosges) et de montagnes jeunes (Alpes et Pyrénées) donnant là, ainsi par ses hautes terres, une diversité incomparable et enviable. Le nord-ouest, bien plus marqué par les plaines, parfois immenses telle la Beauce, ses fleuves et rivières sont nombreux et marquent fortement l’identité intérieure de la France telle la Loire et sa vallée.
Sur un territoire à la carte harmonieuse, le plus vaste et le plus diversifié d’Europe occidentale, la France bénéficie par excellence d’un climat tempéré marqué par la douceur venue de l’océan et de ses grands courants ou par la lumière et la chaleur estivales de la Méditerranée. Il faudrait aussi évoquer l’héritage patrimonial, bien au-delà des seules villes pour valoriser encore une si belle et si étonnante géographie française ici à peine esquissée.
Et à ne pas oublier…
Car c’est véritablement dans ce cadre que la France doit reconnaître elle-même sa propre identité à travers ses régions. Nos recherches et propositions sont déjà perceptibles à travers nos analyses critiques précédentes. C’est maintenant l’objet de nos propositions et de nos convictions…
Elles sont résumées dans la carte ci-jointe (carte 5).
Ainsi, en partant du nord de la carte, se constitue un bel ensemble autour d’une région Nord-Picardie dotée d’une réelle homogénéité géographique et d’un caractère très européen par la proximité de la Grande Bretagne et de la Belgique. C’est aussi, par son importance économique, un utile contrepoids septentrional vis-à-vis de Paris et de la région Ile de France.
A l’est, il est logique de regrouper Champagne-Ardenne et Lorraine qui se prolongent naturellement sans coupure géographique et, par leur continuité, font une utile liaison entre les deux régions voisines à l’ouest et à l’est.
A l’est, précisément, l’Alsace doit former une région en elle-même. Sa forte et belle identité à décliner à tous les niveaux (géographique, culturelle, humaine…) est à cet égard essentielle sans que l’on commette l’erreur qui ne sera pas admise de l’inclure dans un incertain Grand Est.
Plus au sud, une autre entité peut se former autour de deux régions proches et déjà très liées par la géographie : Bourgogne et Franche-Comté formant par leur unité un ensemble comparable à leur nouveau voisin immédiatement situé au nord (Lorraine-Champagne-Ardenne).
Encore plus au sud, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) sont déjà en elles-mêmes des régions reconnues, suffisamment vastes et parfaitement identifiables pour les conserver dans le cadre qu’elles se sont naturellement forgé. Une semblable proposition doit concerner la Corse et le Languedoc par excellence méditerranéens et dont l’identité est depuis longtemps affirmée.
Le sud-ouest ne peut se résumer à une seule région. Tant Midi-Pyrénées qu’Aquitaine sont les deux vraies composantes de ce vaste espace dont l’intérêt lié à des caractères bien affirmés est de conserver ces régions dans leurs limites et leurs composantes actuelles.
Dans un même souci de cohérence et selon une juste et valorisante géographie, le grand quart nord-ouest de la France doit, quant à lui, se recomposer. C’est dans cet objectif que se retrouveraient, naturellement et bien calées, quatre régions équilibrées en dimension et en démographie et soucieuses des aspirations des populations. Ce souci de recherche d’une identité géographique et humaine est y particulièrement marqué. Vers le sud, abandonnant toute idée d’inclusion dans des étonnantes régions hétéroclites, Poitou-Charentes est préservé et élargie à la Vendée pour former une grande région centre-atlantique entre Loire au nord et Garonne au sud.
Une région nouvelle et qui depuis longtemps aurait dû s’imposer est le Val de Loire. Tant en richesses naturelles qu’en héritage patrimonial cette région marquée par la Loire et ses affluents serait certes une des plus belles régions françaises avec une des identités les plus marquées. D’Angers jusqu’à Orléans, cette région compterait 8 départements (l’Eure et Loir étant à rattacher, le cas échéant, à l’IIe de France).
A l’ouest, la Bretagne, région maritime et Atlantique par excellence, retrouve son unité avec la Loire-Atlantique et une forte cohérence de son territoire. C’est aussi par la Bretagne retrouvée que peuvent harmonieusement se composer ces régions authentiques que seraient le Val de Loire et le Poitou-Charentes avec la Vendée (dont une large partie au sud s’appelle d’ailleurs le Marais Poitevin…).
S’il va de soi que les deux Normandie deviennent la Normandie unie, le cas de l’Ile de France peut utilement être reconsidéré à l’ouest en y ajoutant l’Eure et Loir déjà polarisé par l’agglomération parisienne. Ce pourrait être une opportunité pour donner plus de volume géographique à cette région-capitale…
Géographie et son adjectif géographique reviennent ici sans cesse. Identité également. Ce n’est certes pas un hasard.
En effet, les premières cartes issues du projet de réforme territoriale sont éminemment critiquables car, visiblement, elles font fortement abstraction tant de la géographie de la France que celle de ses régions : leur mise en œuvre, même dans la seconde version, casserait l’identité profonde d’un pays. Ceci n’est pas acceptable alors que nous avons si bien à faire.
Au total, au lieu de 13 « régions » qui seraient pour certaines des simples éléments segmentés de la France, nous parvenons à 16 régions métropolitaines au lieu de 22 aujourd’hui. Mais, en aucun cas, même si des correctifs sont à apporter (sans aborder ici la dimension démocratique de la réforme), nous n’avons pas transigé quant à la nécessité d’une recherche et des propositions basées sur la richesse portée par l’identité : l’identité de la géographie, l’identité des régions et l’identité même de la France.
Jacques Lescoat
Administrateur territorial, géographe et Vice-Président de l’Association
« Géographes de Bretagne »
Nota 1 Au moment de la rédaction de cet article, un désaccord apparaissait au Parlement (« Le Monde » du 28 octobre 2014). En effet, le Gouvernement et la majorité de l’Assemblée Nationale restaient apparemment figés sur la carte 4, très sévèrement critiquée dans notre article. Le Sénat (nouvelle majorité), quant à lui, apportait deux modifications : rétablir les régions Alsace et Languedoc (carte 7). Sage proposition qui correspond à ce que nous préconisons et face à laquelle il faudra d’une façon certaine se caler. Pour autant, il faut encore croire que le Sénat ne connaît lui-même qu’insuffisamment la géographie et l’identité françaises (il ignore le Massif Central, le Val de Loire, laisse « l’Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes » s’étirer du Pic d’Ossau (Pyrénées) jusqu’à… la Loire ! On pourrait continuer (cf. le développement lié à la carte 5). Il est infiniment regrettable que de si hautes instances de la France (Gouvernement, Assemblée Nationale mais aussi Sénat) en soient à ce niveau de propositions !
Nota 2 D’autres remarques s’imposent. En effet, il est toujours possible, dans le cadre du découpage régional de la France, de promouvoir des coopérations organisées, voire même institutionnalisées selon de plus vastes entités géographiques. L’exemple peut venir d’une forme de « fédération » méditerranéenne française réunissant sur certaines coopérations les régions Corse, PACA et Languedoc. Ceci contribuerait à rompre certaines formes d’isolement ou d’espace moins étendu et peuplé (cas de la Corse) tout en respectant chaque identité régionale. Ce pourrait être aussi le cas de l’est autour de Lorraine-Champagne-Ardenne et Alsace, du sud-ouest autour d’Aquitaine, Midi-Pyrénées et de l’ouest autour de Bretagne, Val de Loire, Normandie et Poitou-Charentes avec une ville fédérative telle Nantes… Sans oublier des coopérations fortes avec d’autres régions européennes voisines (exemple de Bade-Wurtemberg à l’est ou de Catalogne au sud…). Enfin, nous n’avons pas abordé le cas des régions d’outre-mer partiellement à l’écart de la réforme territoriale, espaces si précieux avec les territoires d’outre-mer, pour donner une autre et belle identité à la France et pour qu’elles trouvent elles aussi, le meilleur levier pour l’efficacité de l’action publique… J.L.